Il est une chose qui est couramment contestée par les souverainistes, c’est la dilution du pouvoir national dans le processus décisionnel européen.
En effet, rares – et de plus en plus critiqués – sont les domaines nécessitant encore l’unanimité des États.
La plupart des décisions se prennent par le Conseil de l’Union européenne à la majorité qualifiée (1).
De fait, ce sont les ministres, membres du Conseil, qui engagent l’accord de leur pays sur les projets de directives et de règlements européens transmis par la Commission européenne.
Un paradoxe qui, lui, est rarement soulevé par les tenants de la souveraineté nationale, peut-être parce qu’il met en lumière le peu d’intérêt qu’accordent les parlementaires nationaux à l’exercice de leurs prérogatives.
En vérité, le Parlement français ne semble s’interroger que sur sa place dans l’ensemble institutionnel européen. Jamais n’est évoqué le problème, strictement national, mais pourtant majeur, de la séparation des pouvoirs Parlement-Gouvernement.
En effet: exécutifs au niveau national, les ministres et les chefs d’État se font législateurs au niveau européen.
Et pourtant, la séparation des pouvoirs est un principe fondamental de la démocratie, valeur que promeut le préambule du traité de Lisbonne.
En confiant le pouvoir de décision aux exécutifs nationaux, les traités européens ont donc laisser aux États le soin de mettre en place des processus internes permettant de garantir le caractère démocratique du processus décisionnel.
Ceci ne peut leur être reproché: personne, sinon l’État lui même, n’est plus à même de désigner qui, à l’intérieur d’un État, est légitime à porter la voix de sa population.
Tous les États membres de l’Union européenne étant des démocraties parlementaires, ils ont donc choisi de confier le pouvoir législatif à leur Parlement national. Aucune action gouvernementale ne peut être entreprise sans recevoir l’aval des parlementaires.
Ce constat, vérifié en matière de politique intérieure, n’est malheureusement pas d’actualité sur la scène européenne: rares sont les États qui donnent à leur Parlement le droit de s’opposer à une décision prises au Conseil européen.
A ma connaissance, seule la Constitution allemande oblige le gouvernement, « avant de concourir aux actes normatifs de l’Union européenne », à « prendre en considération les prises de position du Bundestag » (l’article 23 (3) de la loi fondamentale allemande).
En France, aucune disposition de ce type n’existe. Ainsi, depuis 1993, le gouvernement français vote des lois sans avoir recueilli au préalable l’accord des parlementaires.
Si l’article 34 de la Constitution française énumère explicitement les domaines dans lesquels le Parlement doit être consulté (dits « domaine réservé de la loi »), le gouvernement négocie quotidiennement au sein des institutions européennes des textes qui relèvent pourtant de ce domaine réservé.
Comme l’expliquait pourtant le discours de Philippe Séguin à la tribune de l’Assemblée nationale en 1992, le Parlement français s’est lui même dessaisi de sa compétence législative:
« Mon irrecevabilité se fonde sur le fait que le projet de loi viole, de façon flagrante, le principe en vertu duquel la souveraineté nationale est inaliénable et imprescriptible, ainsi que le principe de la séparation des pouvoirs, en dehors duquel une société doit être considérée comme dépourvue de Constitution. »
De fait, les parlementaire français sont, soit court-circuités, lorsque la réforme européenne fait l’objet d’un règlement européen, soit simplement saisis pour la forme lorsqu’il s’agit d’une directive (2).
En confiant l’écriture de ces textes à des organismes supranationaux sans introduire de nouvelles procédures de contrôles préalables, le Parlement français a ainsi donné – sans contrôle – son pouvoir législatif au gouvernement (3).
En effet, comme le rappelle le Conseil d’État dans son avis du 21 décembre 2000, « la conduite des relations extérieures de la France, y compris avec les autorités communautaires, ne relève pas de la compétence du Parlement » (4).
Certes, la réforme constitutionnelle de 1992 a permis l’écriture d’un nouvel article 88-4 disposant l’obligation pour le gouvernement de transmettre au Parlement « les projets d’actes législatifs européens ». Ce contrôle parlementaire était exercé auparavant par l’application de la loi du 10 mai 1990 (dite loi Josselin) qui imposait au gouvernement de communiquer aux deux assemblées les projets de textes européens. Lors de la ratification du Traité de Maastricht, l’État a souhaité introduire ces dispositions dans le marbre de la Constitution.
Cependant, aucune disposition n’est venue régler les problèmes relatifs à la séparation des pouvoirs, l’Etat et les juges faisant semblant de considérer le fonctionnement de l’Union européenne comme une banale organisation internationale (5).
Lors des débats parlementaires de 1992, le gouvernement (par la voie de la ministre Élisabeth Guigou) a ainsi fait savoir à plusieurs reprises qu’il ne saurait être lié par un mandat impératif: « le Gouvernement n’est bien entendu pas lié par l’avis émis par le Parlement. La Constitution, en effet, prévoit que le Gouvernement ne peut pas recevoir de mandat impératif et ne peut pas être lié par une décision du Parlement sur les textes internationaux. » (6).
Vingt ans après la ratification du Traité de Maastricht, nous nous retrouvons donc dans une situation où, par exemple, le Parlement français n’a aucun moyen légal de s’opposer au vote favorable du chef de l’Etat sur un règlement européen introduisant l’obligation de transmission des projets de loi de finances à la Commission européenne (cf. Two-Pack).
Cette situation est soit ignorée par les parlementaires, soit acceptée, comme le prouve la déclaration d’Élisabeth Guigou le 25 septembre dernier:
« Il ne s’agit pas d’aller vers un système de mandat impératif à l’allemande, qui provoquerait, soit dit en passant, un blocage général de l’Union européenne ».
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(1) Une délibération est acceptée si elle recueille au moins 255 voix exprimant le vote favorable d’une majorité d’État et si, ensuite, elle est approuvée par une majorité des députés siégeant au Parlement européen. Par exemple, lorsque François Hollande donne l’accord de la France, ce dernier compte pour 29 voix sur un total de 345 (réparties entre les États membres selon leur poids respectif).
Le Conseil de l’Union européenne rassemble les ministres qui, selon leur domaine de compétence, approuvent les textes transmis ensuite au Parlement européen.
Le Conseil européen rassemble les chefs d’Etat qui valide les textes suite à l’accord du Parlement européen. Les réunions du Conseil européen se déroulent à huis clos, ce qui ne permet pas de connaitre la position propre à chaque Etat.
(2) En effet, les règlements européens sont directement applicables. Seules les directives européennes nécessitent la création de textes nationaux permettant leur application. Cependant, le Conseil constitutionnel a admis que le Parlement français était tenu, au nom de son engagement européen, a ratifié les directives (sauf en présence d’une disposition expresse contraire de la Constitution).
(3) La suite du discours de Philippe Séguin est particulière claire à cet égard: « La question de la séparation des pouvoirs se pose dans les mêmes termes. Aucune assemblée n’a compétence pour se dessaisir de son pouvoir législatif par une loi d’habilitation générale, dépourvue de toute condition précise quant à sa durée et à sa finalité. […] On demande donc au Parlement, qui n’en a pas le droit, rien de moins que d’abandonner sa compétence législative aux organes communautaires chaque fois que ceux-ci le jugeront nécessaire pour l’application du traité. »
(4) Cette liberté de négociation en matière internationale du gouvernement reste cependant soumise à l’approbation en dernier ressort des textes internationaux par le Parlement. Comme nous l’avons vu ci-dessous (2), cette approbation parlementaires est inexistante en matière de droit européen.
(5) Constance Grewe, constitutionnaliste, met en avant l’idée selon laquelle serait distinguer les notions de souveraineté interne et de souveraineté externe: « Distinguer, voire opposer, la face interne et la face externe de la souveraineté revient à solliciter quelque peu les textes, à jouer sur les mots et à proner une étanchéité des ordres juridiques interne et international étrangère au développement contemporain des relations internationales » (Revue de droit constitutionnel, n°11, 1992).
(6) Débats au Sénat, 16 juin 1992
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