Printemps 2014 : des nouvelles du marché transatlantique (revue de presse)

TTIP printemps 2014
Ignacio Garcia Bercero et Dan Mullaney, chefs négociateurs européens et américain, lors du cinquième cycle de négociations

Lundi, alors que les français célébreront la fête nationale, les négociateurs européens et américains se réuniront pour un sixième tour de négociations visant à l’écriture d’un accord de commerce transatlantique.

Au cours de celui-ci, les négociateurs poursuivront leurs discussions sur des questions telles que le commerce des biens et services, les questions de réglementation, les marchés publics, la protection de l’environnement et du droit du travail, l’énergie et les matières premières, ainsi que les opportunités offertes aux les petites et moyennes entreprises.

Avant de se pencher sur ces nouvelles négociations, ContreLaCour vous propose de faire le point sur les évènements de ce printemps.

La revue de presse du mois de mars est disponible en cliquant ici.

Mai 2014 : le cinquième cycle de négociations

Le cinquième cycle de négociations entre l’UE et les États-Unis a eu lieu du 19 au 23 mai 2014 aux États-Unis. Les négociateurs ont discuté du commerce des biens et services, des investissements (sans toutefois aborder la question de la protection des investissements qui fait actuellement l’objet d’une consultation publique européenne), des questions de réglementation, des mesures sanitaires et phytosanitaires, des marchés publics, des droits de propriété intellectuelle, du commerce électronique et des télécommunications, de l’environnement, du travail, des PME et de l’énergie et des matières premières.

Une conférence de presse (en anglais) peut être visionnée sur le lien suivant.

Aucun compte rendu de l’avancée des négociations suite à ce cinquième tour de négociations n’a été publié à l’attention du public.

Cependant, quelques jours plus tôt (le 12 mai 2014), le groupe consultatif européen mis en place par la Commission européen s’est réuni.
Un compte rendu a été mis en ligne et permet de se faire une idée de l’avancée des négociations sur certains points.

Il est notamment indiqué que l’environnement serait un chapitre discuté avant la pause estivale. Il s’agit de mettre à jour les positions initiales européennes en tenant compte des discussions avec la partie américaine au cours des quatre derniers tours de négociations. Ce chapitre comprendra les principes généraux, y compris une déclaration claire du droit de réglementer et de maintenir des normes élevées de l’environnement et de protection du travail, et couvrira ensuite séparément les engagements en matière de normes sociales et environnementales.

Certains membres du groupe consultatif ont indiqué leur crainte de voir devenir inopérant le droit de réglementer si le mécanisme de règlements des différents (tribunaux d’arbitrage) était inclus dans l’accord.
De même, ils se sont interrogés sur l’inclusion des questions de bien-être animal, notamment en ce qui concerne les exportations de viande. Ignacio Garcia-Bercero, négociateur en chef européen, a précisé que cette question serait traitée dans le chapitre SPS.
D’une façon générale, Monsieur Garcia-Bercero a indiqué que l’objectif était désormais de « passer à des discussions fondées sur des textes dans autant de domaines que possible« .

Concernant le règlement des différends, on apprend que les négociations sont déjà au stade d’une discussion sur un texte relatif au règlement des différends Etat contre Etat; ces dispositions s’appliquant à tous les chapitres du TTIP et faisant déjà partie de tous les récents accords de libre échange de l’UE. En revanche, sur l’ISDS, qui ne concerne que le chapitre sur l’investissement, l’UE n’a pas encore fait de propositions en raison de la consultation publique en cours.

Le 3 juillet dernier, une réunion consacrée aux questions environnementales a été organisée à Bruxelles par la Commission européenne. Il n’a pas été fait, à ma connaissance, de compte rendu de cette journée.

La transparence

Le compte rendu de la réunion du Comité consultatif du 12 mai fait état d’une « salle de lecture » pour laquelle les membres sont appelés à faire des réservations. Il se pourrait donc bien que les dernières propositions de « transparence » faites par les Etats-Unis – c’est à dire la mise à disposition de salle de lecture permettant aux européens de consulter les documents de la négociation – ait été acceptée.

En ce qui concerne une plus grande transparence pour le grand public, Monsieur De Gucht, commissaire en charge du commerce, regrette que les positions de la Commission soient mal interprétées. Lors d’une audience devant la Commission « commerce international » du Parlement européen le 1er avril dernier, Karel De Gucht, devant les accusations de mensonge concernant l’importation de bœuf aux hormones, a déclaré : « Je ne peux pas se permettre de mentir devant le Parlement. Je peux me permettre de ne pas dire toute la vérité, mais je ne peux pas se permettre de mentir » .

Le 14 mai 2014, la Commission européenne a publié ses positions dans cinq nouveaux domaines :

les substances chimiques : La Commission estime que les différences règlementaires empêchent à ce jour toute harmonisation ou reconnaissance mutuelle. Elle propose une coopération visant à recenser les produits et partager les informations.

les cosmétiques : il est proposé de lister les substances autorisées ou interdites de chaque partie, parvenir à une reconnaissance mutuelle des bonnes pratiques de fabrication, mettre au point et utiliser des méthodes de substitution à l’expérimentation animale et harmoniser les exigences concernant les tests des produits.

les véhicules à moteur : la Commission souhaite parvenir à la compatibilité des normes sans les revoir à la baisse. L’ambition est de contribuer à définir de nouvelles réglementations mondiales.

les produits pharmaceutiques : il est notamment proposé la reconnaissance mutuelle des bonnes pratiques de fabrication et des inspections des sites de fabrication afin d’éviter les doubles emplois; l’harmonisation de nos exigences pour l’approbation des « biosimilaires » (produits similaires aux médicaments biologiques déjà autorisés) et la simplification des systèmes d’autorisation des médicaments génériques.

le textile et l’habillement : il s’agit d’harmoniser les normes en matière d’étiquetage et de sécurité des produits.

Dans un projet de rapport de l’OTAN (1), l’auteur dresse un état des lieux de la situation actuelle dans l’opinion publique : « Plus les détails des pourparlers seront rendus publics, plus des groupes d’intérêts de tous bords se mobiliseront pour veiller à conserver les protections dont ils bénéficient actuellement. Les plus fortes pressions politiques ne se feront sentir que lorsque le texte définitif aura pris forme et que son contenu sera largement connu.« 

Même si le fait de tenir les citoyens à l’écart des pourparlers commerciaux délicats peut faciliter la phase de négociation, cela risque de nuire au processus de ratification. Rassurer les opinions publiques est en effet essentiel et un minimum de transparence, même si cela s’avère difficile, pourrait être opportun à cet égard.

Géopolitique et commerce du gaz

Le rapport de Diego Lopez Garrigo (OTAN) consacre plusieurs développements aux questions géostratégiques: « La vulnérabilité de l’Europe face à l’incontestable propension de Moscou à se servir de son rôle de fournisseur d’énergie à des fins politiques est devenue une source de graves préoccupations pour les analystes de la sécurité« .

Selon l’auteur, les récents événements en Ukraine donne « une raison supplémentaire de faire avancer les pourparlers« . L’UE veut obtenir la garantie que les Etats-Unis ne restreindront pas les exportations de gaz américain vers l’Europe.

Dans un article publié en juin dernier, le site Reuters indiquent que les Républicains américains soutiennent les propositions visant à augmenter les exportations de gaz de schiste vers l’Europe et l’Asie.
Si les accords de libre échange sont actuellement compromis par la majorité démocrate du Congrès américain, une victoire des républicains en novembre au Sénat pourrait modifier la donne. Ils viendraient ainsi donner plus de marges de manœuvre à la politique commerciale du Président démocrate Obama.

Cependant, les politiques américains semblent plus s’intéresser à l’accord transpacifique qui suscite des craintes de délocalisations d’entreprises et de pertes d’emplois.
Les avantages directs (exportations d’OGM et de bœuf aux hormones) ne semblent pas d’actualité, malgré les appels américains à une négociation ambitieuse en matière agricole (Darci Vetter, en charge de l’agriculture, 8 avril 2014). Aussi, les élus lui portent peu d’intérêt.

Coté opposition, le site LaLibre.be, nous indique que les « organisations et syndicats [voient] ainsi d’un bon œil une négociation avec un continent européen où les règles de protection des consommateurs sont réputées plus strictes ».

Les Parlements nationaux dans la boucle

Alors que les Parlementaires américains refusent de donner tout pouvoir de négociations à l’administration Obama, les assemblées nationales européennes commencent, quant à elles, tout juste à s’emparer du sujet.

A cet égard, je vous conseille la lecture de l’article de Alberto Alemanno, professeur à HEC Paris : « Aux Parlements de surveiller le partenariat transatlantique« .

Le 10 avril 2014, le groupe communiste de l’Assemblée nationale a déposé une proposition de résolution sur le projet de traité.
Ce projet de résolution, très critique sur le principe de l’accord, appelait à un arrêt des négociations et une consultation du peuple français.
Le texte, débattu le 22 mai, a été adopté ce même jour par la majorité socialiste.

A lire : « Décoloration du rouge au rose » par Brice Lacourieux (Les cuisines de l’Assemblée)

Le détricotage a été tel que le Front de gauche a été contraint de voter contre sa propre proposition.

La discussion de cette résolution a également été l’occasion de revenir sur la question de l’approbation du futur Traité par les Parlements nationaux. Selon les dires des parlementaires français, l’Union européenne semble s’acheminer vers un « accord mixte » dont certaines dispositions relèveraient de la compétence nationale. Celles-ci devraient donc être portées à l’approbation des parlementaires français.

En attendant, le gouvernement français tente de rassurer. Le 8 mai dernier, Fleur Pellerin, en charge du commerce international, a indiqué la nécessité (désormais courante) de faire « de la pédagogie » afin de « dédramatiser » les négociations, souvent présentées « de manière inutilement anxiogène ».
Un peu plus tard, la ministre française de la Culture Aurélie Filippetti a assuré avoir obtenu la parole de Monsieur De Gucht concernant le respect du mandat de négociation et l’exclusion des services audiovisuels et culturels.

En Allemagne, la forte mobilisation populaire a suscité l’intérêt des élus nationaux, notamment écologistes, très critiques du manque de transparence.
Dans une réponse du gouvernement fédéral à une enquête de l’Alliance 90/Les Verts il est indiqué que le gouvernement fédéral n’a pas accès aux documents de négociation présentées par les États-Unis: « Le gouvernement fédéral a souligné à maintes reprises que ce n’est pas suffisant pour la surveillance responsable du processus de négociation, tel que prévu par les traités de l’UE dans la politique commerciale » .

Malgré tout, Angela Merkel continue de soutenir fortement la conclusion d’un accord. Lors d’un discours devant la chambre de commerce américaine le 2 mai dernier, la chancelière a estimé que l’accord devrait être conclu d’ici fin 2015.

La question sensible du numérique

Alors que les négociations s’inscrivent dans un contexte tendu, suite aux révélations de surveillance de la NSA, les Etats-Unis voient d’un mauvais œil le projet de réseau de communication européen.

Dans un article de début avril, Reuters nous apprend que dans son rapport annuel sur les obstacles au commerce des télécommunications, le bureau du représentant américain au Commerce a déclaré que les obstacles aux flux de données transfrontaliers étaient un sujet de préoccupation grave et croissante.

« Les récentes propositions de pays de l’Union européenne de créer un réseau européen électronique (surnommé un « Schengen cloud » par les avocats) […] pourraient conduire à l’exclusion ou la discrimination contre les fournisseurs de services étrangers » , a déclaré l’USTR dans son rapport.

Le 7 mai dernier, le Conseil national du numérique français a remis ses conclusions sur le volet numérique du projet de TTIP.
A noter que le Conseil national du numérique salue « la divulgation par des acteurs de la société civile de documents confidentiels » qui lui a permis de rendre son avis.
Il déplore que le volet numérique du projet de partenariat de commerce et d’investissement soit sous-estimé et met en garde contre un rapport de force actuellement en défaveur de l’UE. Il craint que le TTIP remette en cause « la capacité de l’Union européenne à réglementer et structurer son marché intérieur numérique dans le futur » , notamment par la mise en place de tribunaux d’arbitrage, et appelle à « sortir du seul prisme de la relation entre les Etats-Unis et l’Europe pour aborder le numérique dans sa perspective internationale« .

De nombreuses fuites

Ces dernières semaines ont vu les fuites se multiplier. Ont ainsi été mises à jour :

– les positions européennes relatives aux matières premières et à l’énergie lors des négociations d’octobre 2013

– l’analyse de l’UE des négociations relatives aux droits de propriété intellectuelle, y compris aux indications géographiques

– les positions européennes en matière de services d’investissement

[box]Merci d’avance à tous ceux qui publient/relaient mes articles. Merci cependant de sélectionner un extrait et de mettre le lien vers l’article original! Magali[/box]

(1) Projet de rapport général « Négocier le partenariat transatlantique de commerce et d’investissement », Commission de l’économie et de la sécurité, Diego Lopez Garrigo (rapporteur général), 23 avril 2014.


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