Le 29 juin 2012 n’était pas un jour ordinaire au Parlement allemand.
Ce jour là, le Bundestag et le Bundesrat ont adopté quatre projets de loi:
– la modification de l’article 136 du TFUE, permettant la mise en place du Mécanisme européen de stabilité (MES)
– la ratification du Traité MES
– les modalités de participation financière de l’Allemagne au MES
– la ratification du Pacte budgétaire (Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance de l’UEM).
La mise en œuvre de ces différents textes, conditionnée par la signature du Président de la République allemand, Joachim Gauck, était cependant mise en sommeil par les nombreuses plaintes déposée devant la Cour constitutionnelle fédérale.
Mercredi 12 septembre, la Cour de Karlsruhe a donc rendu une décision particulièrement attendue.
Un extrait de cette décision (de pas moins de 26 pages) est disponible en anglais.
Si la ratification du Pacte budgétaire ne pose pas de problème de conformité constitutionnelle, il en va différemment du Mécanisme européen de stabilité pour lequel la Cour exige certaines clarifications.
Ainsi, le Président allemand a pu, dès le lendemain, apposer sa signature sur les quatre textes votés le 29 juin 2012.
Cependant, la ratification définitive du Traité MES n’interviendra qu’une fois que le gouvernement aura tenu compte des réserves émises par la Cour constitutionnelle.
Le Pacte budgétaire (TSCG)
Les trois principaux moyens soulevés contre le TSCG étaient les suivants:
1°) en ratifiant ce Traité, le Parlement allemand se dessaisit de son autonomie budgétaire,
2°) même si le Traité ne contient pas de changements essentiels (les règles comptables sont déjà inscrites dans le droit européen en vigueur), les engagements existants vont acquérir une nouvelle qualité juridique,
3°) l’irréversibilité de l’obligation est contraire à la loi fondamentale.
La Cour de Karlsruhe a balayé un à un ces différents arguments.
1°) L’article 3 du TSCG « ne crée pas de restrictions nouvelles de l’autonomie budgétaire des États membres mais met en termes concrets les dispositions existantes du droit de l’Union européenne ».
Contrairement à la France, l’article 3 semble déjà mis en œuvre par l’Allemagne depuis 2009 par l’adoption de la règle du frein à l’endettement:
– le déficit structurel ne doit pas dépasser 0,35% du PIB (règle d’or)
– des règles de correction automatique sont prévues en cas d’évolution anormale de la conjoncture, de catastrophe naturelle ou de situations exceptionnelles d’urgence (mécanisme de correction automatique),
– le Conseil de stabilité effectue un contrôle permanent de la gestion budgétaire de la Fédération et des Länder (Conseil budgétaire indépendant) .
2°) Le Pacte budgétaire ne crée pas d’effets juridiques directs. Ainsi, le Parlement peut, s’il le souhaite, voter des lois de finances qui ne respectent pas les règles comptables édictées par le Traité: « Une loi budgétaire qui viole le TSCG ne cesse pas d’être juridiquement valable ».
Le seul effet juridique existant est un effet indirect puisque le Parlement risque l’application de sanctions pécuniaires en cas de budgets déséquilibrés.
La Cour indique cependant que la mise en place de la « majorité inversée » (article 7 du TSCG) constitue une innovation mais que cela « n’a pas d’importance constitutionnelle » car « l’accord sur une procédure de vote ne modifie pas en substance la procédure concernant les déficits excessifs ».
En réalité, la « majorité inversée » ne constitue pas une innovation du TSCG car celle-ci a été mise en place via le « Six-Pack ».
3°) La durée indéfinie du TSCG ne constitue pas une violation de la Constitution car, conformément à la coutume internationale, un Traité conclu à durée indéterminée peut être résilié à tout moment d’un commun accord. Aussi, en cas de changement fondamental des circonstances, une partie peut se retirer d’un Traité sur la base de l’article 62 de la Convention de Vienne.
Le Traité MES
Les plaignants contre le MES se retrouvent autour d’un argument commun: le mécanisme contreviendrait à l’interdiction de sauvetage posé par l’article 125 du TFUE.
Selon eux, l’amendement de l’article 136 du TFUE dévalorise en grande partie la clause de « no bail-out ».
À l’article 136, paragraphe 1, du traité FUE, le point suivant est ajouté:
«Les Etats Membres dont la monnaie est l’euro peuvent établir un mécanisme de stabilité pouvant, si nécessaire, être activé dans le but de préserver la stabilité de la zone euro dans son ensemble. L’octroi de toute aide financière en vertu du mécanisme sera soumis à de strictes conditionnalités».
En outre, selon les plaignants, l’amendement n’aurait pas du faire l’objet d’une procédure de révision simplifiée mais nécessitait la réunion d’un Congrès afin que les Parlements nationaux soient impliqués.
C’est un argument que j’avais moi aussi mis en avant lorsque je m’interrogeais sur la légalité du Traité MES.
A cela, la Cour de Karlsruhe a répondu que la nouvelle rédaction de l’article 136 n’accroissait pas les compétences de l’Union européenne et que, par conséquent, la révision simplifiée était justifiée.
Rappelons également que procédure simplifiée ou pas, le Parlement allemand a été consulté lors des négociations européennes visant à modifier l’article 136. Dès le 17 mars 2011, le Bundestag avait adopté la proposition des groupes CDU/CSU et FDP favorable à l’ajout d’un article 136.
En effet, l’article 23 (3) de la loi fondamentale allemande indique qu’ « avant de concourir aux actes normatifs de l’Union européenne, le Gouvernement fédéral donne au Bundestag l’occasion de prendre position. Dans les négociations, le Gouvernement fédéral prend en considération les prises de position du Bundestag. »
Cette disposition constitutionnelle, qui garantit le respect de la séparation des pouvoirs législatifs/exécutifs, n’existe pas dans le droit français.
Concernant la clause de « no bail-out », les gardiens de la Constitution allemande ont estimé que le nouvel article 136 ne changeait pas l’orientation de l’Union européenne: « il contient simplement une clarification ».
En particulier, le MES ne permet pas le financement direct des États via la Banque centrale européenne.
Le MES est un organisme public mais, en raison de ses objectifs, il n’est pas couvert par l’exemption de l’interdiction du financement monétaire accordé aux établissements publics de crédit par l’article 123 (2) du TFUE. En effet, selon la Cour, l’article 123 (2) ne s’applique pas aux établissements de crédits dont les fonds proviennent des États membres car cela constituerait un contournement de l’interdiction énoncée à l’article 123.
Les juges allemands condamnent ainsi sans appel possible la proposition formulée par Michel Rocard en janvier dernier dans son article choc « Pourquoi faut-il que les États payent 600 fois plus que les banques?« : « Certes, la Banque centrale européenne (BCE) n’est pas autorisée à prêter aux États membres, mais elle peut prêter sans limite aux organismes publics de crédit (article 21.3 du statut du système européen des banques centrales) … »
La Cour dispose également que le MES a l’interdiction de faire un dépôt d’obligations à la BCE à titre de garantie car cela constituerait une acquisition directe de titres de créances d’États sur le marché primaire.
Aussi, le BCE ne peut pas racheter des créances au MES car cela constituerait une acquisition sur la marché secondaire indépendante des marchés financiers.
Par conséquent, la Cour rappelle ici la stricte position de l’Allemagne dans le débat sur le financement direct des États par la BCE.
L’Union monétaire a été pensée et créée comme une communauté de stabilité. L’indépendance de la BCE, l’objectif de stabilité des prix, l’interdiction du financement monétaire par la BCE sont autant d’éléments qui constituent des exigences constitutionnelles de la participation de l’Allemagne à la monnaie unique.
Si le principe de stabilité devait être écarté dans la cadre du développement de l’Union monétaire, « il appartient aux législateurs de décider comment les possibles faiblesses de l’UEM peuvent être contrecarrées par une modification du droit de l’Union européenne ».
Une décision éminemment politique
Il est illusoire, en matière de droit constitutionnel, de vouloir distinguer le « politique » du « juridique »: interpréter des dispositions constitutionnelles est toujours un exercice éminemment politique. Ce mélange des genres, qui a largement été reproché – à tort selon moi – au Conseil constitutionnel français lors de sa récente décision sur le Pacte budgétaire, semble être parfaitement assumé par les juges de Karlsruhe.
Ainsi, en raison de la « situation actuelle fragile » et des arguments exposés ci-dessus, les juges ont écartés les demandes d’injonction provisoire des plaignants relatives aux Traités MES et SCG.
Ils rappellent cependant les grands principes indispensables à la garantie de la compétence budgétaire du Bundestag.
« Il faut veiller à ce que suffisamment d’influence parlementaire continue de s’exercer sur la manière de traiter les fonds garantis via le MES ». Notamment, le Parlement allemand est compétent pour définir la conditionnalité exigée des États bénéficiaires des aides.
Ainsi, alors que le Parlement français se contente d’approuver, a posteriori, les montants négociés par le ministre des finances, la Cour rappelle que le Bundestag doit rester « en permanence » « maitre de ses décisions ».
Ceci rappelle sa décision rendue quelques jours avant la ratification du Traité où elle regrettait que le Parlement n’ait pas été associé à la négociation du Traité.
Selon la Cour, la loi autorisant la ratification du MES ainsi que la loi fixant les modalités de participation au MES offrent les garanties suffisantes à la préservation de la compétence budgétaire du Parlement.
En effet, toutes les décisions qui seront prises par le ministre des finances allemands dans le cadre du MES seront conditionnées, de près ou de loin, par l’aval du Bundestag.
Par exemple, les augmentations de capital et les modification d’instruments d’assistance financière devront être approuvées par une loi fédérale. D’autres décisions exigeront l’approbation du comité budgétaire du Bundestag.
En France, aucune loi fixant les modalités de participation du Parlement à la prise de décision relative au MES n’a été mise en œuvre.
Malgré ces garanties, la Cour indique que certaines dispositions du Traité MES doivent être clarifiées afin d’assurer la constitutionnalité du Traité. A défaut d’une telle clarification, l’Allemagne devra exprimer clairement qu’elle ne peut être liée par le Traité MES dans son intégralité (clause d’exemption).
1°) L’inviolabilité des documents (articles 32 et 35 du Traité) et le secret professionnel des représentants du MES (article 34).
Si le Traité prévoit une obligation de communication du rapport annuel du MES aux Parlements nationaux (article 30), il convient de s’assurer que l’inviolabilité et le secret professionnel ne freinent pas les possibilités d’information du Bundestag.
Cette question sera probablement résolue dans la réglementation générale du MES.
2°) L’appel des fonds révisés augmentés (article 9 et 25 combinés) ne doit pas permettre un dépassement du plafond du capital-actions garanti par l’Allemagne, soit 190 milliards d’euros, sans approbation express du Parlement allemand.
Ainsi, alors que le Conseil constitutionnel conclut toujours à la nécessité de réviser la Constitution française en cas de non conformité avec un Traité en cours de ratification, la Cour de Karlsruhe procède quant à elle de la logique inverse: préciser/modifier le Traité de façon à le rendre constitutionnel.
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