Cet article est en quelque sorte une revue de presse des informations glanées ici et là sur l’état des négociations franco-allemande au sujet de la gouvernance économique européenne.
Tel est pris qui croyait prendre.
Voilà plusieurs mois que Hollande nous promet d’incarner le changement.
Eurobonds, Projectbonds, Banque européenne d’investissement renforcé, taxe sur les transactions financières: autant de points destinés à mener la cadence européenne et semer la chancelière allemande sur le chemin de la croissance.
Mais il est dur de doubler Madame Merkel, même par sa gauche.
Un mois après l’élection du Président français, la chancelière a tôt fait de reprendre l’avantage.
Sans doute lassée de passer pour Madame « Nein », la rabat-joie face à un Hollande récoltant tous les fruits de négociations entamées bien avant son entrée en fonction, la chancelière s’est engouffrée dans la brèche ouverte par le nouveau Président: puisque Monsieur Hollande souhaite ouvrir tous les dossiers, la question institutionnelle sera également à l’agenda européen.
Alors que le gouvernement français s’affairait à présenter l’actuel débat sur la croissance comme une victoire de François Hollande, Angela Merkel a rapidement repris le devant de la scène en posant ses conditions: oui aux euro-obligations mais une fois la crise passée, et dans le cadre d’une sérieuse réforme des institutions européennes.
Par la même, elle bat en brèche l’injuste idée selon laquelle l’Allemagne camperait sur la case « austérité », alors que le pays a accepté depuis de plusieurs mois d’apporter son soutien aux pays en difficulté en garantissant le remboursement de leur dette en cas de défaut.
Surtout, en se plaçant sur le terrain du long terme et en offrant aux européistes une vision politique ambitieuse, elle fait de François Hollande l’homme des petites solutions.
Depuis 2005, la question institutionnelle est on ne peut plus tabou en France. Or la question des eurobonds est étroitement liée à une intégration politique renforcée.
Maligne, Madame Merkel met donc la pression sur la Présidence française à qui il revient désormais de s’avancer sur le terrain politique si elle souhaite voir aboutir la gestion commune des dettes.
Les euro-bonds
Sans expliquer précisément ce que signifiaient ces « euro-bonds », ni l’état d’avancement des négociations à l’échelle communautaire, la presse a largement aidé François Hollande à se présenter comme le promoteur d’une « nouvelle » proposition jusqu’ici peu connue des français: la mise en place d’euro-obligations.
Or, dans un récent article, l’auteur du blog La Théorie du Tout nous apprend que dès novembre 2011, la Commission européenne a publié un livre vert sur « la faisabilité de l’introduction d’obligations de stabilités ».
Dans ce dernier, on peut lire que la question de la mise en commun des dettes a été examinée par les Etats membres dès la fin des années 1990 lorsque le Groupe Giovannini a publié un rapport présentant une gamme d’options possibles pour la coordination de l’émission des dettes souveraines de la zone euro.
Ainsi, si Monsieur Hollande a habilement réussi à se présenter comme un précurseur, espérant de ce fait mener, aux yeux de l’opinion, un débat jusqu’ici monopolisé par l’Allemagne, il en a également pris les responsabilités.
Désormais son électorat compte sur lui pour mener à terme ce dossier, et la chancelière en a saisi tout l’intérêt.
En passant du « non catégorique » au « oui sous condition », Madame Merkel somme le président français à s’avancer davantage – et surtout publiquement – sur le terrain de la négociation : Quels euro-bonds souhaite-t-il ? Quelles seraient les implications en termes de gouvernance commune ?
Comme l’écrit Le Figaro, François Hollande va désormais « devoir expliquer aux français que la crise de la zone euro oblige à d’importants transferts de souveraineté ».
En effet, les euro-bonds ne sauraient être mis en œuvre en l’état actuel de fonctionnement de l’Union et ce, même dans leur forme la plus souple c’est-à-dire la mise en commun d’une partie de la dette seulement.
Il est difficile cependant de trouver des détails quant à la forme des eurobonds souhaitée par François Hollande même si des indices sont laissés par Monsieur Cazeneuve, ministre des affaires européennes, lorsqu’il appelle à une « mutualisation de la bonne dette de demain » destinée aux investissements.
Cette forme d’eurobonds, ne visant pas à la prise en charge des dettes passées, ne permettra pas d’assainir la dette existante et d’aider les Etats en difficulté.
Elle permettra uniquement de garantir communément de la dette contractée pour financer des projets générateurs de croissance.
Mais qui décidera des montants attribués ? des garanties concédées ? des projets financés ?
Sur ce point, le gouvernement français ne donne au public aucune précision.
Que souhaite l’Allemagne ?
Dans une intervention télévisée le 7 juin dernier Madame Merkel a, sans faux-semblant, exposer les ambitions fédéralistes de l’Allemagne: « Nous avons besoin de plus d’Europe, d’une union budgétaire et nous avons besoin avant tout d’une union politique. Nous devons pas à pas, abandonner des compétences à l’Europe ».
Si les mécanismes de réponses à la crise, jusqu’ici mis en place, pouvaient s’intégrer dans un simple renforcement de la discipline budgétaire, il en va différement de la gestion commune des dettes.
En effet, comme l’indique Jens Weidmann, président de la Bundesbank : « On ne confie pas sa carte de crédit à quelqu’un si on n’a pas la possibilité de contrôler ses dépenses. La communautarisation de la dette est la face d’une médaille dont l’autre coté serait le fédéralisme »
Andreas Schokenhoff, député influent de la CDU, le parti de la chancelière, a indiqué « On ne va pas mutualiser la dette si on ne mutualise pas la politique ».
Le ministre des finances allemand Wolfgang Schäuble renchérit « il nous faut une vraie union budgétaire et fiscale ». Autrement dit, plus que le simple renforcement du contrôle budgétaire, il nous faut désormais gérer conjointement les politiques structurelles nécessaires à la sortie de crise.
Les quotidiens rapportent ainsi qu’au sein du ministère de l’économie allemand, circule actuellement un document de travail plaidant pour des privatisations nécessaires, la libéralisation des transports, la réforme du marché du travail ou la refonte des régimes sociaux.
Ce programme colle d’ailleurs parfaitement avec les récentes recommandations de la Commission européenne pour la France : réduire la segmentation du marché du travail, encourager l’emploi des plus âgés, intensifier la concurrence des entreprises de réseaux, améliorer la compétitivité cout des entreprises en baissant la charge du travail, etc.
Reste que le prix à payer pour une telle intégration des politiques économiques est lourd : le risque d’une division de l’Union européenne.
La chancelière, auparavant réservée sur ce point, a visiblement franchi le rubicond en reconnaissant que l’existence de la monnaie unique conduisait de fait à « une Europe à deux vitesses »: «Cela sera encore renforcé, car ceux qui sont ensemble dans une Union monétaire doivent se rapprocher davantage».
L’Europe à [au moins] deux vitesses
A l’heure où l’on se pose la question du maintien possible des Etats en graves difficultés, telle la Grèce, dans la zone euro, le leader de l’opposition allemande Sigmar Gabriel (SPD) estime que la déclaration de Madame Merkel constitue « un tournant dramatique de la politique européenne de la chancelière qui exclut une monnaie unique sans une intégration fiscale et financière ».
Désormais, la question de la sortie de la crise économique, qui exclut la remise en cause possible de la monnaie unique, passe nécessairement par une intégration accrue. Ceux qui refuse une telle intégration verront leur place au sein de la zone euro remise en question.
Cette fermeté affichée démontre la volonté absolue du maintien de la monnaie unique.
Objectif : rassurer les marchés financiers.
Elle marque également l’acceptation d’une Europe à plusieurs vitesses.
En effet, si jusqu’à présent la doxa commune consistait à placer les Etats non membres de la zone euro – tel le Royaume-Uni – en situation de file d’attente à l’adoption de la monnaie unique, la perspective d’une Union politique inhérente à la zone euro rendrait impossible l’adhésion de certains pays profondément souverainistes.
Cet état de fait semble satisfaire les britanniques puisque les déclarations de Madame Merkel semblent avoir reçu l’assentiment de Monsieur Cameron. Sans doute permettrait elle à l’Outre-manche de se dégager d’une « relation sans enthousiasme » avec l’Union européenne (The Guardian).
Mais si nos voisins britanniques semblent très à l’aise avec cette question institutionnelle, le gouvernement français apparait quant à lui plutôt embarrassé.
La veille de la déclaration de Madame Merkel, une intervention de Pierre Moscivici, ministre des finances, laissait transparaitre que le gouvernement français n’entendait pas ouvrir la question institutionnelle. Le ministre a en effet indiqué que la France ne souhaitait pas de « grand soir politique », appelant plutôt à davantage d’intégration fonctionnelle : « Nous devons fonctionner avec les institutions existantes ».
Cette déclaration signifie en réalité que le gouvernement français n’est pas, par principe, hostile à une plus grande intégration des politiques économiques et budgétaires. Ce qu’il souhaite à tout prix éviter, c’est la réouverture d’un débat institutionnel.
Répondant aux questions de l’AFP le 8 juin 2012, Monsieur Cazeneuve, ministre délégué en charge des affaires européennes, indiqué justement que « un an et demi seulement après l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne, la priorité n’est pas de mettre en chantier une nouvelle réforme constitutionnelle ».
En pour cause, Bernard Cazeneuve se souvient très bien de la fracture occasionnée par la Constitution européenne et le Traité de Lisbonne dans le parti socialiste.
Si les « nonistes » socialistes, dont le ministre fait partie, permettent à la gauche de se racheter quelque peu une conscience auprès de la France du « non », on comprend très bien que, désormais au pouvoir, le Parti socialiste ne souhaite pas raviver le mauvais souvenir de ce qui constitue une trahison politique.
L’intégration pourra donc avoir lieu donc, mais ces réformes ne devront pas passer le seuil des Parlements nationaux.
Le problème est que l’Allemagne semble considérer que le temps des réformes « bruxelloises » est terminée et qu’il convient désormais de passer à la vitesse supérieure: les Nations doivent participer au débat.
En effet, depuis plusieurs mois, la gouvernance économique européenne a été grandement renforcée par voie de règlements communautaires (réforme du « Six-pack »): renforcement des dispositifs préventifs, des sanctions et des pouvoirs de la Commission européenne, mise en place d’un nouveau cadre de surveillance des déséquilibres macroéconomiques.
A l’heure actuelle, deux nouveaux règlements (« Two-pack ») sont en cours d’approbation par le Conseil européen et le Parlement européen.
Pire, le rachat des dettes souveraines par le BCE sur le marché secondaire et la mise en place de plans de solidarité européens, placent les Etats bénéficiaires sous la coupe de plus en plus pesante des institutions européennes.
Par conséquence, les fondations de la gouvernance commune existent déjà. Un fédéralisme anonyme se met déjà doucement en place.
Pour aller plus loin, une réforme des Traités s’impose désormais.
Pendant plusieurs mois, on considérait que ce pas ne pouvait être franchi de fait du risque certain de voir une telle réforme refusée par un des Etats membres. L’Allemagne, en acceptant l’idée d’une Europe à plusieurs vitesses, a ouvert la dernière porte.
Les fédéralistes sont désormais sur le qui vive.
Le 11 juin, l’eurodéputé Andrew Duff, éminent fédéraliste, a transmis aux journalistes une proposition de réforme. Celle-ci démontre que le mouvement fédéraliste semble avoir pris acte de l’impossibilité d’approfondir l’Union en l’état : « du moins, au début, un noyau dur d’Etats doit se former pour constituer une avant-garde dans le cadre d’un nouveau Traité européen de solidarité budgétaire ».
Un nouveau Traité : voici visiblement la forme souhaitée pour cette réforme constitutionnelle.
Plus précisément, un nouveau Traité interétatique à l’image de l’actuel Pacte budgétaire.
D’après le Financial Times Deutschland, ce serait d’ailleurs du Pacte budgétaire que partirait l’Europe à deux vitesses que l’on pourrait ensuite élargir à une union fiscale ou politique.
Dès novembre dernier, lors du congrès de la CDU (parti de Mme Merkel), les parlementaires allemands avaient adopté à la quasi-unanimité une motion en faveur de l’élection du président de la Commission européenne au suffrage universel européen.
Cette institution, souvent taxée de déficit démocratique dans son mode de désignation, alors qu’elle est en charge de la rédaction des « lois européennes », doit devenir le gouvernement économique de l’Union.
Selon Guy Verhofstadt, président du groupe ALDE au parlement européen, la Commission doit avoir « le pouvoir de décider d’une politique économique et sociale de convergence, en matière de fiscalité, de salaires, de retraites ». Bref, la Commission doit avoir le pouvoir d’imposer les mesures structurelles.
Ainsi, si le débat institutionnel ne semble pas d’actualité en France, Berlin pourrait rapidement faire changer cet état de fait si le gouvernement tient à faire avancer ses promesses pour plus de croissance.
Déjà, les quatre patrons de l’Europe (Herman Van Rompuy, président du Conseil européen, Mario Draghi, patron de la BCE, Jean-Claude Juncker, chef de l’Eurogroupe et José Manuel Barroso, président de la Commission européenne) se rendent dans les capitales européennes afin de présenter, dès le sommet européen des 28 et 29 juin prochains, un projet d’intégration de la zone euro.
Et si finalement, le changement c’était maintenant ?
[box]Merci d’avance à tous ceux qui publient/relaient mes articles. Merci cependant de sélectionner un extrait et de mettre le lien vers l’article original! Magali[/box]
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