Un règlement européen ou une directive peuvent-ils être inconstitutionnels?

179-copie-1Que se passe-t-il lorsque une directive ou un règlement européen, adoptés par le Conseil européen et le Parlement européen, sont contraires à une disposition de la Constitution?

J’ai commencé à m’interroger sérieusement sur ce point en lisant la dernière décision du Conseil constitutionnel sur le Pacte budgétaire.
Si ce dernier avait estimé que le Traité, via les renforcements de discipline budgétaire,était contraire à notre Constitution, il aurait de fait condamner les règlements constitutifs du « Six-Pack » qui renforcent, depuis 2011, les critères de Maastricht.

Certes, les Sages n’ont pas pris une telle décision, mais j’ai quand même torturé mon cerveau, replongé mes neurones dans mes vieux cours de droit public, et poussé les recherches du coté du « contrôle constitutionnel des actes européens de droit dérivé » jusqu’à trouver deux articles dont je vous propose ici une courte synthèse.

– « Le contrôle de constitutionnalité des actes de droit dérivé de l’Union européenne » par Fabrice Picod
– « A propos du contrôle constitutionnel des actes communautaires dérivés et hiérarchie des normes » par Florine De La Forest Divonne

La primauté du droit communautaire sur les ordres juridiques nationaux

C’est un des principe fondamental de la construction européenne. Énoncé dès 1964 par la Cour de Justice des Communautés européennes (devenue CJUE), il permet de garantir l’unité du droit européen.

La Cour indique « que le droit du traité ne pourrait, en raison de sa nature spécifique originale, se voir judiciairement opposer un texte interne quel qu’il soit sans perdre son caractère communautaire et sans que soit mise en cause la base juridique de la Communauté elle-même ».
En 1970, la Cour enfonce le clou en énonçant que « l’invocation d’atteintes portées, soit aux droits fondamentaux tels qu’ils sont formulés par la Constitution d’un Etat membre, soit aux principes d’une structure constitutionnelle nationale, ne saurait affecter la validité d’un acte de la Communauté ou son effet sur le territoire de cet Etat ».

Autrement dit, la CJCE interdit aux juridictions nationales de contrôler les actes juridiques européens au regard des textes nationaux.
Le droit de l’Union européenne constitue un « ordre juridique distinct » qui, pour en préserver l’unité à l’échelle européenne, ne doit pas être perturbé par des règles nationales.

Comment le Conseil constitutionnel français a-t-il accueilli ce principe?

Les tribunaux administratifs français participent au contrôle de conventionnalité des textes européens. En effet, il est relativement aisé pour un administré de porter plainte devant le juge administratif s’il estime qu’une directive, ou un règlement, ne respecte pas les Traités européens.

En revanche, les voies de recours lui sont fermées s’ils entend contester directement la constitutionnalité d’un texte européen.
En effet, la Constitution française est très restrictive sur les modalités de saisine du Conseil constitutionnel:
– seul le Président, 60 députés ou 60 sénateurs peuvent saisir les Sages,
– ces derniers ne peuvent juger que de la constitutionnalité d’une LOI.
Autrement dit, impossible de leur déférer directement une directive ou un règlement qui vient d’être promulgué par les institutions européennes.

En réalité, un seul texte peut être déféré au Conseil constitutionnel: la loi transposant la directive européenne dans le droit français.
Le Conseil s’est très tôt refusé à contrôler les effets juridiques des règlements européens (décisions n°77-89 et 77-90 D.C).
(Rappelons qu’un règlement européen est d’application immédiate alors qu’une directive nécessite d’être transposée via un texte national.)

Le Conseil constitutionnel pourrait donc être amené à juger de la constitutionnalité d’une directive via la loi de transposition.
La loi de transposition est-elle constitutionnelle? Autrement dit: la directive imposant cette transposition est-elle constitutionnelle?

Jusqu’en 2004, les Sages ont refusé de se positionner sur cette question. Désormais, les choses sont plus claires.

Dans une série de décision de 2004, les Sages ont décidés que les dispositions de la loi qui découlaient directement de la directive ne pouvaient pas faire l’objet d’un contrôle de la part du Conseil constitutionnel.
C’est ce qu’on appelle la théorie de la « directive écran »: les Sages refusent de juger ces dispositions car un tel travail reviendrait à juger la validité de la directive.

Cependant, le Conseil constitutionnel a émis une réserve. Les dispositions de transposition peuvent être contrôlées « en raison d’une disposition expresse contraire de la Constitution »: dans ce cas, il pourrait être fait obstacle à l’exigence constitutionnelle de transposition d’une directive.

Le Conseil d’Etat, chargé pour sa part, de juger la légalité des actes règlementaires (décret, arrêté, etc), a suivi la même logique: « s’il n’existe pas de règle ou de principe général du droit communautaire garantissant l’effectivité du respect de la disposition ou du principe constitutionnel invoqué, il revient au juge administratif d’examiner directement la constitutionnalité des dispositions réglementaires contestées ».
Ainsi, « le Conseil d’Etat n’hésiterait pas à annuler l’acte administratif en cause s’il s’avérait contraire à la Constitution, assurant par là même la suprématie dans l’ordre interne de la Constitution ».

L’intérêt de cette jurisprudence est de permettre une garantie des droits fondamentaux des citoyens la plus élevée possible.

 pyramide-des-normes

Ainsi, à la question « Un règlement européen, ou une directive, peuvent-ils être inconstitutionnels? », la réponse est non.
Seuls les actes législatifs ou règlementaires nationaux, pris sur la base des textes européens, peuvent faire l’objet d’une telle censure si, tout en étant conformes aux Traités européens, ils sont contraires à une disposition constitutionnelle propre à la France.

[box]Merci d’avance à tous ceux qui publient/relaient mes articles. Merci cependant de sélectionner un extrait et de mettre le lien vers l’article original! Magali[/box]


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