Voici la version longue d’un article publié le 4 décembre sur le site d’information Boulevard Voltaire.
La nouvelle est tombée ce matin.
Forte des nouvelles prévisions en matière de croissance – revues à la baisse par l’OCDE -, la Commission rappelle à l’ordre la France sur son projet de loi de finances sur la sécurité sociale (PLFSS).
C’est sans surprise pourtant: déjà, au printemps dernier, la Commission européenne insistait sur la nécessité « d’améliorer l’employabilité » des plus âgés et « d’instaurer un système d’imposition plus équilibré qui allège la fiscalité sur le travail ».
La récente opposition des sénateurs mettait déjà en lumière les défaillances du projet: une hausse des « charges » sociales nuisibles à une compétitivité déjà bien mal en point, un retour – certes limité – de la retraite à 60 ans chiffrée à plus d’un milliard d’euros.
Mais si le débat, jusqu’alors franco-français, pensait se résoudre par le dernier mot laissé à l’Assemblée nationale, les recommandations de la Commission européenne obligent désormais le gouvernement à revoir sa copie.
Rassurez-vous, cette information est fausse.
Elle a pour unique unique objectif de vous faire apprécier la situation actuelle: une loi de finances dont la seule institution habilitée à donner son aval reste le Parlement français, même si sa rédaction est largement encadrée par des règles budgétaires issues du droit européen.
Cette situation, même imparfaite, il vous faut bien l’apprécier à sa juste valeur car, l’an prochain, ces deux premiers paragraphes de politique fiction pourraient bien s’avérer exacts.
En effet, si aujourd’hui les Etats restent libres de la rédaction de leurs documents budgétaires (au risque d’être sanctionnés en cas de non respect des règles européennes), la Commission européenne devrait bientôt recevoir le droit d’intervenir dans les processus l’élaboration des budgets nationaux.
Cette nouveauté, nous la devons au Two-Pack. Un nom qui fait sourire les amateurs de rap, mais qui désigne en réalité deux règlement européens en cours d’élaboration.
Le premier vise à introduire un contrôle beaucoup plus strict des pays de la zone euro en difficulté, notamment ceux souhaitant bénéficier d’une assistance financière.
Le second – qui nous intéresse ici – entend encadrer encore davantage le processus d’élaboration des budgets nationaux.
Le projet de texte prévoit notamment l’obligation des Etats membres de communiquer à la Commission leur projet de loi de finances (« plan budgétaire ») avant le 15 octobre. Si la Commission estime que ce plan présente un « manquement particulièrement grave », elle pourra en demander la révision dans un délai de 15 jours.
Si nécessaire, la Commission pourra également adopter un avis avant le 30 novembre. Celui-ci pourra être présenté au Parlement national, si celui-ci en fait la demande.
Ce projet, légèrement amendé par les eurodéputés, a été approuvé en séance plénière le 13 juin dernier en recevant l’aval des parlementaires français de droite, du centre et (à de rares exceptions) de gauche.
Le texte amendé fait désormais l’objet d’âpres discussions entre les Etats, le Parlement européen et la Commission. Il devrait être approuvé début 2013.
Une réforme confirmée par la Vice-Présidente de la Commission, invitée à l’Assemblée nationale le 15 octobre dernier: « En cas de très grand danger, la Commission pourrait exiger la révision d’un plan budgétaire. Mais elle ne pourrait le faire qu’après un vote dans le cadre du conseil ECOFIN. »
Une disposition, en tout point contraire aux grands principes posés par notre Constitution, qui semble inquiéter au sein de l’hémicycle, comme le prouve les deux questions posés par les députés:
– « Que se passerait-il si le Parlement national, souverain, ne suivait pas nécessairement les recommandations de la Commission européenne sur les projets de budgets nationaux? »
– « Si, concrètement, au mois de novembre, la Commission avait un point de vue réservé sur la loi de finances, que se passera-t-il? »
Ce qu’il se passerait, tout le monde est en mesure de le comprendre: la France serait tenue de revoir sa copie, au risque de sanctions financières.
C’est d’ailleurs ce qui est arrivé en Belgique l’hiver dernier lorsque la Commission demandait au gouvernement de geler certaines dépenses budgétaires sur un budget 2012 alors fraichement approuvé.
Les parlementaires français peuvent être inquiets à souhait, ils n’ont strictement aucun moyen juridique – à supposer qu’ils en aient l’envie – de s’opposer à cette réforme.
En effet, alors que les directives européennes supposent une loi nationale de transposition, les règlements sont adoptés conjointement par le Parlement européen et le Conseil et sont directement applicables en droit interne, sans qu’aucun Parlement national ne soit intervenu dans leur élaboration.
Cet absence de texte national empêche aussi tout recours auprès des Sages pour non conformité à la Constitution. Une constitutionnalité des règlements européens jamais remise en question: les membres du Conseil constitutionnel n’ont aucune compétence pour juger de textes européens, tandis que les juges européens ne vérifient la conformité de ces textes que vis à vis du droit européen.
De quoi apporter de l’eau au moulin de ceux qui prétendent avec justesse que la participation quotidienne de la France à la prise de décision européenne se fait hors de tout contrôle démocratique et sans garantie d’une conformité constitutionnelle.
« La question de la séparation des pouvoirs se pose dans les mêmes termes. Aucune assemblée ne peut déléguer un pouvoir qu’elle n’exerce qu’au nom du peuple. Or, le projet de loi qui nous est soumis comporte bien une habilitation d’une généralité telle qu’elle peut être assimilée à un blanc-seing. […] On demande donc au Parlement, qui n’en a pas le droit, rien de moins que d’abandonner sa compétence législative aux organes communautaires chaque fois que ceux-ci le jugeront nécessaire pour l’application du traité. »
Philippe Séguin, 5 mai 1992
[box]Merci d’avance à tous ceux qui publient/relaient mes articles. Merci cependant de sélectionner un extrait et de mettre le lien vers l’article original! Magali[/box]
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