Ceci est le deuxième article du blog consacré à la Conférence interparlementaire sur la gouvernance économique et financière de l’Union européenne qui s’est tenue à Vilnius les 16 et 17 dernier. La Conférence, première du genre, rassemblait les représentants du gouvernement lituanien, des parlementaires nationaux et européens, ainsi que des membres de la Commission européenne.
Dans un précédent article, j’expliquais l’historique de la création de cette conférence et surtout, je mettais en avant la forte implication des parlementaires français.
Aujourd’hui j’ai pu m’entretenir quelques minutes avec Monsieur Caresche, député PS, et Monsieur Marini, sénateur UMP, qui étaient présents à Vilnius. Tous deux espéraient bien trouver dans cette nouvelle conférence l’opportunité de donner aux Parlements nationaux plus de poids dans la gouvernance économique de l’UE.
Ils semblent revenir de Lituanie un peu déçus.
Alors que deux textes (une conclusion et un règlement) devaient être adoptés dans le cadre de cette conférence et marquaient « un vrai souci d’associer les Parlements nationaux au débat« (1), seule une contribution a pu voir le jour.
En cause: un Parlement européen visiblement très « inquiet de voir les Parlements nationaux s’immiscer dans les débats européens« (2).
En effet, l’objectif premier de cette institution interparlementaire est d’offrir un nouveau cadre de débat et d’expression aux Parlements nationaux en matière de gouvernance économique européenne. Ces derniers, très largement oubliés dans l’approfondissement de l’UEM opérée depuis plusieurs mois, s’apparentent de plus en plus à de simples chambres d’enregistrement. Ils sont contraints par une mécanique institutionnelle (semestre européen) dont ils n’ont pas pu valider les contours. Ils sont tenus par des orientations budgétaires auxquelles ils ne participent que de très loin.
Or, les revendications légitimes des Parlements nationaux se heurtent malheureusement de front à celles d’un Parlement européen « en quête d’identité » (2) qui cherche à conforter sa place en obtenant de nouveaux pouvoirs de contrôle dans le semestre européen.
Aujourd’hui, toutes les recommandations économiques émises par la Commission sont validées par les seuls ministres et chefs d’Etat européens. Cette situation fait peser sur le semestre européen de lourdes critiques de déficit démocratique que beaucoup espèrent voir combler en donnant plus de pouvoir aux eurodéputés.
Cependant, certains parlementaires nationaux ne partagent pas cette »évidence ».
C’est le cas de Christophe Caresche qui, s’il considère comme légitime les revendications du Parlement européen de participer à l’examen annuel de croissance, ne reconnait aucune légitimité aux eurodéputés pour débattre des recommandations adressées aux Etats.
Dans un entretien publié sur le site Toute l’Europe, le député français explique plus amplement sa position:
« Cela ne me choque absolument pas que le Parlement européen puisse par exemple adopter l’examen annuel de croissance. En revanche je ne vois pas le Parlement européen adopter les recommandations par pays. »
« Le problème est très simple c’est que l’on est sur des compétences nationales ! Le Parlement a un raisonnement très simple : tout ce qui est au niveau européen relève de sa compétence, ce qui est au niveau national relève des parlements nationaux. Mais la réalité est tout autre : nous ne sommes pas dans un système fédéral. Cela serait vrai si nous avions un budget européen mais aujourd’hui il s’agit de coordination de politiques nationales. »
De fait, ce sont donc deux visions qui se sont opposées lors de la conférence.
La première, « minimaliste », entrevoit la conférence comme un « simple lieu d’échange« (2). Elle est notamment défendue par le Parlement européen, mais également par certains parlementaires nationaux, notamment hollandais et allemands.
Selon ces derniers, d’après Monsieur Marini, donner plus de poids à la conférence se heurte aux organisations institutionnelles nationales. Cela « excéderait la liberté constitutionnelle du Bundestag ». Le sénateur nous apprend également que cette frilosité s’expliquerait par une lettre, transmise quelques jours après la publication du projet de règlement par le Président du Parlement européen, Monsieur Martin Schulz, allemand, à ses collègues du Bundestag.
Pour Monsieur Marini, si la conférence se borne à n’être qu’une simple « forum de libre expression » où les parlementaires nationaux se contenteraient d’écouter les Commissaires européens et les Présidents des Commissions parlementaires, cela n’aurait aucun intérêt.
La seconde vision, notamment défendue par la France, est bien plus ambitieuse et vise à faire de la conférence un lieu « d’élaboration de positions communes » (2).
Monsieur Marini insiste, il s’agit d’en faire une véritable instance parlementaire dotée d’un secrétariat et d’un ordre du jour, sans quoi les conférences ne seraient que l’occasion de s’éparpiller sur des questions d’actualité: « des réunions alibis sans valeur ajoutée ».
Le compromis final n’a pu être trouvé que sous la forme d’une simple contribution, adoptée « aux forceps » et « mise au voix de façon expéditive » par une Présidence lituanienne apparemment « excédée par la remise en cause du travail fourni » (2).
La contribution exprime le souhait de voir démarrer un processus de Vilnius avec l’adoption du règlement lors de la prochaine conférence qui se tiendra en février à Bruxelles.
Un amendement, déposé par Monsieur Caresche a été adopté. Il laisse entrevoir une victoire possible de la vision ambitieuse défendue par le Parlement français. La contribution exclue en effet d’en faire un »simple forum » et place la Conférence, de par la participation des parlementaires nationaux, comme un moyen de légitimer les décisions prises dans le cadre du semestre européen.
Pour autant, les deux parlementaires français sont catégoriques: il n’est pas question (pour l’instant) de confier un pouvoir de délibération aux parlementaires nationaux. La Conférence n’aura qu’un rôle consultatif. Les positions communes qui y seront adoptées permettront peut-être d’infléchir les décisions prises par les ministres et les chefs d’État européens.
Pour Monsieur Marini, cette Conférence pourrait également être « l’embryon d’un processus institutionnalisé des parlements nationaux » qui trouverait peut-être sa place dans le cadre d’une réforme des Traités européens. Sa réforme idéale consisterait à la mise en place d’un bicamérisme européen comportant d’un coté le parlement européen, et d’un autre un Sénat européen composé de délégations nationaux.
En attendant, le Sénateur le reconnait: si cette vision existe, elle suscite cependant des oppositions, et notamment du Parlement européen qui se sent menacé par la montée en puissance des Parlements nationaux.
(1) Philippe Marini
(2) Christophe Caresche
[box]Merci d’avance à tous ceux qui publient/relaient mes articles. Merci cependant de sélectionner un extrait et de mettre le lien vers l’article original! Magali[/box]
Liens:
– Conférence interparlementaire sur la gouvernance économique et financière de l’Union européenne – Site de la Présidence lituanienne consacré à la dimension parlementaire
– La gouvernance économique après la crise au sein de l’UE au cœur des discussions à la Conférence interparlementaire – Site de la Présidence lituanienne
– Christophe Caresche revient sur la première Conférence interparlementaire sur la gouvernance économique et financière de l’Union européenne – Toute l’Europe
– Conférence interparlementaire sur la gouvernance économique et financière de l’union européenne à Vilnius – blog de Chantal Guittet, députée
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