Propriété intellectuelle : la Commission outrepasse son mandat en négociant avec les industriels américains

Les-Etats-Unis-et-lUnion-europeenne-2-4d551Aujourd’hui, une nouvelle fuite dans le cadre des négociations commerciales vient nous éclairer sur le travail mené par la Commission européenne en matière de propriété intellectuelle.

Elle provient du site internet du groupe Core Group des Verts du Parlement européen (chargé des questions liées à l’Internet). Ces derniers rendent publics un certain nombre d’archives électroniques.

Ce rapport de « première-main », traduit ci-dessous, nous fournit des informations jusqu’alors inconnu de ce que le TTIP pourrait contenir sur les droits de propriété intellectuelle. Alors que la Commission avait jusqu’ici donné l’information que le TTIP toucherait peu à ces questions, les négociateurs travailleraient directement pour les intérêts industriels. A ce titre, ils récolteraient les nombreuses doléances (« Christmas list ») et outrepasseraient ainsi leur mandat. Enfin, les représentants de l’UE conseilleraient que la société civile soit maintenue hors du débat public.

Lors d’une réunion – non officielle – le 5 décembre, le responsable de la Commission Européenne en charge des question de propriété intellectuelle dans le TTIP, Pedro Velasco Martins, a rencontré des représentants de grandes entreprises afin de proposer de nouvelles règles sur la propriété intellectuelle dans le prochain traité économique entre l’UE et les États-Unis.

Se tenant dans les bureaux de la Chambre américaine de commerce à Bruxelles, la réunion avait pour objet – durant deux heures – d’élaborer des stratégies entre les entreprises et la Commission afin de veiller à ce que le
niveau le plus élevé des restrictions IP soit inclus dans le traité. Étaient présents à la réunion des représentants d’un panel de grandes multinationales. Parmi ceux-ci : TimeWarner, Microsoft, Ford, Eli Lilly, AbbVie (pharmaceutique, anciennement Abbott) et le conglomérat LVMH. La liste des participants comprenait également des représentants de Nike, Dow, Pfizer, GE, BSA et Disney – entre autres. Était également présent Patrice Pellegrino de l’OHMI, l’agence de l’UE responsable des marques dans l’UE.

C’est un là un point très controversé : le négociateur de la Commission, prétendument neutre, ainsi que le
représentant de l’OHMI, se sont non seulement définis comme alliés des lobbyistes, mais ils sont allés bien au-delà et ont commencé à indiquer aux représentants les détails sur la façon dont ils devraient faire campagne pour « éduquer » le public afin de maximiser leurs résultats en matière de « droits de monopole industriel ». En particulier, les préoccupations des élus, comme le Parlement européen – ainsi que de la société civile de plus en plus critiques sur les droits de propriété intellectuelle – devaient être maintenues hors du débat public.

La « liste de Noël » des entreprises révélée

Le négociateur de la Commission Velasco Martins a révélé l’existence d’une liste secrète des demandes des entreprises visant à obtenir de nouveaux droits de propriété intellectuelle dans le traité transatlantique. Jusqu’à présent, que ce soit auprès du public ou du Parlement européen, la Commission a donné l’impression que le débat sur les droits de propriété intellectuelle serait minime. Les seuls éléments en matière de droit de propriété intellectuelle qui ont été mentionnés sont les indications géographiques : un sujet mineur qui préoccupe peu.

En réalité, la Commission a révélé qu’elle a désormais reçu assez de doléances (« Christmas list ») en matière de propriété intellectuelle et qu’elle travaille à présent à mettre en œuvre cette liste. Celle-ci a déjà été discutée avec les États-Unis lors de plusieurs réunions, en personne et par vidéo-conférence.

La « liste de Noël » couvre presque tous les domaines majeurs liés aux droits de la propriété intellectuelle. Sur les brevets, l’industrie a montré « un vif intérêt », en particulier sur les procédures autour de l’octroi de nouveaux brevets. Sur les droits d’auteur, l’industrie veut avoir le « même niveau de protection » aux États-Unis et dans l’Union Européenne; en réalité, il s’agit toujours d’harmonisation vers le haut, ce qui se traduit par plus de restrictions pour le grand public. Sur les droits d’obtention végétale, le secteur pharmaceutique a fait pression pour « des niveaux plus élevés » de protection. Sur les marques, les lobbyistes des entreprises ont fait des demandes liées au classement de la Commission. En outre, il y a eu beaucoup d’intérêt porté aux secrets commerciaux.

Dans les négociations transatlantiques, la propriété intellectuelle serait traitée différemment d’autres négociations commerciales : il n’y aura pas de « déclarations générales » mais, à la place, le Traité mettra l’accent sur les « questions concrètes ».

Une possible violation du mandat de négociation

Selon le négociateur, la demande la plus fréquente des « listes de Noël » était la mise en oeuvre [judiciaire] des règles (« enforcement »). À ce sujet, les entreprises ont fait des demandes « d’amélioration et de formalisation ». Elles ont aussi demandé aux autorités de « faire des déclarations ». Le négociateur de la Commission a déclaré que, bien que les « déclarations » communes ne constituent pas le « langage commercial classique » – un euphémisme pour désigner des choses qui ne se pratiquent pas dans les accords commerciaux – la Commission attend encore avant de « travailler dans ce domaine ».

Le fait que la Commission travaille sur les questions de propriété intellectuelle dans le cadre des négociations TTIP peut constituer une violation du son mandat de négociation approuvé par le Conseil européen. Sur la mise en oeuvre [judiciaire] des règles (« enforcement »), l’article 30 du mandat est clair : « L’accord ne doit pas contenir de dispositions sur les sanctions pénales ».

« Beaucoup de gens sont en attente de la première fuite »

Un lobbyiste de la compagnie pharmaceutique Eli Lilly a déclaré que depuis qu’il y avait beaucoup « d’activité des ONG » autour du TTIP, en particulier sur le thème du mécanisme de règlement des différends État-investisseur (ISDS), il était préoccupé. Il a demandé ce qu’il pourrait être faire pour « contrer cette menace » depuis que la propriété intellectuelle est devenue une question controversée, surtout après l’ACTA.

Velasco Martins a répondu que les critiques des ONG et du public sont « un risque ». De plus, il a continué : « Je suis heureux que la lumière n’ait pas été faite sur nos activités » [c’est à dire sur les questions de propriété intellectuelle]. Il a ajouté que « la Commission est très heureuse de voir l’attention [des ONG] focalisée sur l’ISDS». Tout le monde se mit à rire. Velasco Martins a ensuite averti les participants que « beaucoup de gens sont en attente du premier document, de la première fuite ». Avec « glissement » et « fuite », il a fait référence aux dispositions que le TTIP contiendra sur la propriété intellectuelle.

Les consommateurs, les ONG et les députés considérés comme des ennemis

La Commission et le fonctionnaire de l’OHMI ont tout deux clairement indiqué qu’ils étaient du même côté que les nombreuses entreprises américaines présentes. Dans le même temps, les consommateurs européens et la société civile ont été décrits comme incultes ou comme des ennemis qui doivent être combattus.

Velasco Martins a décrit comment il avait assisté à une réunion sur la propriété intellectuelle organisée par le Dialogue transatlantique des consommateurs. La réunion n’avait pas été « agréable à voir ». Selon lui, les sociétés à qui il s’adressait « devraient s’inquiéter » des organisations de consommateurs comme le TACD. Cependant, il a pensé que, depuis que quelques trucs faciles à comprendre n’ont pas été inclus dans le traité, l’industrie pouvait avoir plus de facilités : si les questions d’avis et de retrait ont été soulevées dans le TTIP, les négociations vont connaitre le même genre de critique que l’ACTA. Le négociateur a également été heureux que la protection des données n’ait pas été inclus dans le chapitre « protection intellectuelle » (IP).

Pellegrino de l’OHMI a poursuivi en disant que le public entretient une sorte « d’attitude de Robin de bois » sur les questions des droits de propriété intellectuelle. Auparavant, l’industrie n’avait pas été en mesure de contrer les préférences du public et les critiques de la société civile en partie parce que ces derniers « se servaient des réseaux sociaux ».

Les études pro-industrie censées rééduquer le public

Un thème récurrent était celui de la nécessité pour le public d’être rééduqué pour qu’il comprenne la valeur des droits de monopole de l’industrie.

Selon Pellegrino, la clé de la réussite serait de s’appuyer sur un certain nombre de rapports pro-IP qui ont été commandés par l’OHMI.

Un rapport récent a été mis en lumière. Il affirme qu’un emploi sur quatre en Europe existe grâce aux règles de propriété intellectuelle. Or, cette étude est fondée sur une méthodologie absurde qui prétend que si une industrie utilise un droit de propriété intellectuelle pour quoi que ce soit, tous les emplois de cette industrie existent seulement en raison de ces droits IP.

[box]Merci d’avance à tous ceux qui publient/relaient mes articles. Merci cependant de sélectionner un extrait et de mettre le lien vers l’article original! Magali[/box]


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