Rappelez-vous : à la rentrée 2012, tout le débat public français se concentrait autour de la ratification du Pacte budgétaire (TSCG) et de sa fameuse « règle d’or ».
Cette dernière, accusée par certains de plonger la France dans une terrible cure d’austérité, est au contraire vantée par les autres comme une garantie de sérieux budgétaire.
Deux ans plus tard, on constate qu’aucune des deux parties n’avait raison.
La règle d’or budgétaire
Pour mieux comprendre le mécanisme de la règle d’or, il faut avoir trois textes en tête :
1°) ledit Pacte budgétaire, ratifié à ce jour par 25 États européens, et enjoignant ces derniers à intégrer dans leur droit national une règle de contrôle du solde « structurel » public,
2°) la loi organique du 17 décembre 2012 relative à « la programmation et à la gouvernance des finances publiques » qui intègre dans le droit français les dispositions du Pacte budgétaire,
3°) la loi de programmation des finances publiques : votée tous les trois ans, elle constitue en quelque sorte un « tunnel » dans lequel doivent évoluer les lois de finances votées chaque année.
La dernière a été adoptée en décembre 2012 par la majorité socialiste.
La France y a inscrit des objectifs budgétaires qui surpassent les niveaux d’exigences posées par le droit européen (Six-Pack et Pacte budgétaire) en s’engageant sur un objectif d’équilibre structurel de ses comptes publics d’ici 2016 (on parle d’ « objectif à moyen terme »).
Le solde structurel correspond au solde public corrigé des effets directs du cycle économique ainsi que des évènements exceptionnels. Autrement dit, il s’agit du solde public tel qu’il serait constaté si le produit intérieur brut était égal à son potentiel.
En plus de prévoir des objectifs budgétaires précis, la règle d’or comprend également un « mécanisme de correction automatique ». Celui-ci se déclenche si les résultats budgétaires constatés s’éloignent du « tunnel » prévu (écart de plus de 0,5 point).
Pour en savoir plus : Le Haut Conseil des finances publiques déclenche la règle d’or budgétaire
Une trajectoire non respectée
Alors que la loi de programmation prévoyait un solde structurel de -1,1 % pour 2014, la loi de finances rectificatives table de son coté sur un solde de -2,3 %.
Le Haut Conseil des Finances Publiques estime de son coté que « le déficit structurel pour 2014 risque néanmoins d’être supérieur à la prévision » du gouvernement.
Ainsi, la nouvelle trajectoire ne permettra pas de respecter l’objectif d’équilibre structurel voté par le Parlement français en 2012.
C’est ce que relève Philippe Marini (UMP), Président de la Commission des finances du Sénat, lors du débat : « Quant à la cible de l’équilibre structurel, qui constitue depuis le traité européen de 2011 et notre loi organique de décembre 2012 l’objectif de moyen terme de notre politique de finances publiques, elle a été décalée à 2017, faute de pouvoir être atteinte dans les temps. Là encore, l’ambition de maîtrise de nos finances publiques est réduite.«
Ainsi, la loi de programmation, toujours effective en droit, n’est plus respectée.
Ce fait est clairement assumé par la majorité socialiste. Dans son rapport, la Commission des finances estime que « la loi de programmation est caduque et qu’un nouveau projet sera présenté devant le Parlement en septembre prochain« .
Il en va de même au Sénat : « Le présent projet de loi de finances rectificative (PLFR) contribue […] à la correction de l’écart du solde structurel à la programmation. Pour autant, parce que ces textes ne corrigent pas l’intégralité de celui-ci – ce qui aurait impliqué un ajustement budgétaire d’une ampleur telle qu’il aurait eu une incidence négative forte sur l’activité économique – des décalages demeurent en 2014 entre, d’une part, le solde structurel et le solde effectif et, d’autre part, les orientations fixées par la loi de programmation. Il convient de noter que les mesures de correction ultérieures seront précisées à l’occasion du prochain débat d’orientation des finances publiques »
Rapport de la Commission des finances du Sénat
De fait, on peut légitimement s’interroger sur la contrainte juridique exercée par ce texte pluriannuel qui pourtant, soutient toute la mécanique de la règle d’or budgétaire française.
Il faut rappeler que l’article 8 du Pacte budgétaire donne la possibilité à la Commission européenne ou à un Etat partie au Traité de saisir la CJUE lorsqu’un État n’a pas adopté une règle d’or effective en droit.
Dans son avis rendu sur le Programme de stabilité, la Commission européenne ne tire cependant aucune conclusion du non-respect des prévisions initiales françaises.
Le solde structurel, un rideau de fumée ?
C’est la question que pose Philippe Marini dans un article paru dans Le Point – article dont je vous conseille la lecture.
En effet, au vu de son avis, il apparait que la Commission européenne ne porte son intérêt que sur le respect du solde public global, c’est à dire au solde structurel et conjoncturel, qui doit être ramené à -3% du PIB en 2015.
Pourtant, c’est toute l’architecture de la gouvernance économique européenne qui avait été repensée en 2011 afin de raisonner, comme l’Allemagne le souhaitait, en terme de déficit structurel des administrations publiques.
Mais, comme l’atteste les débats parlementaires, les élus semblent de plus en plus sceptiques.
Il faut comprendre que le solde structurel est estimé sur la base de la croissance potentielle.
Or, les données de la loi de programmation de 2012 reposaient sur une croissance potentielle qui n’est plus valable aujourd’hui.
Plus clairement, la loi de programmation prévoyait qu’en 2014, avec une croissance potentielle de 1,5% du PIB, le solde structurel s’établirait à -1,1% du PIB (les dépenses seraient supérieures aux recettes au hauteur de 1,1% du PIB).
Dans la loi de finances rectificative, le solde structurel pour 2014, toujours conformément à la croissance potentielle estimée en 2012, est revu à -2,3% du PIB.
Lors de la première lecture de la loi de finances rectificative à l’Assemblée nationale, les députés ont souhaité revoir le niveau de croissance potentielle et, au regard de celui-ci, ont réévalué le solde structurel à -1,9% du PIB, estimant que le déficit était surtout causé par des éléments conjoncturels.
Rendant inapplicable le mécanisme de correction automatique, cet amendement a été rejeté par le Sénat, soutenu par le gouvernement :
« L’article liminaire […] doit être en cohérence avec la loi de programmation des finances publiques en vigueur. Or si celui-ci était modifié comme en a décidé l’Assemblée nationale, ce ne serait plus le cas, ce qui risquerait de poser un problème à la fois technique et juridique : le Conseil constitutionnel pourrait alors estimer que cet article n’est pas conforme à la loi organique précitée. » (Christian Eckert)
Mais quel sens peut-on donner à la comparaison de deux données estimatives dont on sait qu’elles ne sont plus fondées ?
Face à un tel écart de croissance potentielle, la répartition entre déficit conjoncturel et déficit structurel n’est-il pas forcément faussé ?
La règle d’or budgétaire française, en prévoyant le respect d’une trajectoire structurelle établie en fonction d’une croissance potentielle figée, n’est tout simplement pas applicable.
Les critiques à l’égard du fonctionnement actuel de la règle d’or semblent unanimes. Reste à savoir si le gouvernement et les parlementaires proposeront un nouveau mode de pilotage des finances publiques, plus effectif et plus lisible, durant le prochain débat d’orientations budgétaires.
[box]Merci d’avance à tous ceux qui publient/relaient mes articles. Merci cependant de sélectionner un extrait et de mettre le lien vers l’article original! Magali[/box]
Sources :
– Loi n° 2014-891 du 8 août 2014 de finances rectificative pour 2014 : Dossier législatif
– Avis du Haut Conseil relatif aux projets de lois de finances rectificative pour 2014
– Commission européenne : Avis du Conseil sur le programme de stabilité de la France pour 2014
Laisser un commentaire