L’article 86 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), entré en vigueur le 1er décembre 2009, prévoit la faculté pour tout ou partie des Etats membres d’instituer un Parquet européen.
L’intérêt d’une telle institution serait de protéger plus efficacement l’Union européenne contre la criminalité transfrontière, qu’elle soit purement financière ou s’étende à la grande criminalité.
En effet, si Europol a pour mandat général de favoriser l’échange d’informations et de coordonner les enquêtes et les poursuites pénales nationales, il n’est pas habilité à procéder lui-même à ces enquêtes ou poursuites.
Si le projet semble, sur son principe, rassembler les opinions favorables, ses modalités de fonctionnement restent cependant en débat. A cet égard, le Sénat français ne partage pas la proposition émise par la Commission européenne, qu’il juge contraire au principe de subsidiarité.
C’est l’occasion de nous pencher sur les contours de cette institution européenne en devenir et, surtout, sur les modalités de contrôle des projets de textes européens par les Parlements nationaux.
Le récente proposition de la Commission européenne
Le 17 juillet dernier, la Commission européenne a publié son projet de règlement visant à créer cette nouvelle institution judiciaire. Le projet a été présenté aux ministres européens de la justice les 7 et 8 octobre derniers.
Christiane Taubira s’est exprimée à plusieurs reprises en faveur de ce projet.
De même, le 23 octobre dernier, les eurodéputés ont appuyé à une très forte majorité la création d’un tel Parquet.
Dans le projet de la Commission, les compétences du Parquet sont limités à la poursuite des infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l’UE.
Il est important de préciser qu’en tant qu’organe de justice pénale, ce Parquet n’a pas vocation à sanctionner les Etats pour leurs manquements aux règles budgétaires de l’UE, mais uniquement les individus qui se rendraient coupables de criminalité financière. Pour en savoir plus, vous pouvez consulter le projet de directive relative à « la lutte contre la fraude portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union au moyen du droit pénal ».
Il faut également noter que le projet ne consiste qu’en la création d’un Parquet: les institutions judiciaires nationales resteraient compétentes pour prononcer le jugement.
Les réserves des sénateurs français
Dans sa résolution du 15 janvier 2013, le Sénat avait soutenu la création d’un Parquet européen. Cependant, sa résolution du 28 octobre met un carton jaune à la formule définie par la Commission européenne que les sénateurs jugent trop « intégrée ». Ils estiment que la Commission européenne paraît aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif d’un meilleur pilotage et d’une coordination renforcée.
Autrement dit, le Sénat estime que la proposition de règlement ne respecte pas, en l’état, le principe de subsidiarité.
Le Sénat est favorable à un Parquet européen de forme collégiale, désignant en son sein un président, le cas échéant avec une rotation par pays, et s’appuyant sur des délégués nationaux dans chaque État membre.
Or, le projet de la Commission prévoit que le Parquet soit dirigé par un procureur européen et quatre procureurs adjoints, auxquels seraient soumis les procureurs européens délégués (un par Etat membre) chargés de mener les enquêtes et les poursuites.
Le site iPex nous apprend que le Parlement français n’est pas le seul à avoir émis une réserve. Les Parlements chypriote, hongrois, irlandais, maltais, hollandais, tchèque, roumains, anglais et suédois ont tous émis des avis motivés sur le projet de règlement des commissaires.
De fait, les Parlements nationaux ont, pour la deuxième fois depuis l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne, utilisé leur « carton jaune« . La Commission européenne doit désormais réexaminer son texte.
Le non respect du principe de subsidiarité
Le traité de Lisbonne confie aux parlements nationaux la mission de veiller au respect du principe de subsidiarité. À cette fin, à compter de l’entrée en vigueur du traité, l’article 88-6 de la Constitution prévoit que l’Assemblée nationale ou le Sénat peut émettre des avis motivés sur la conformité des projets d’actes législatifs européens au principe de subsidiarité.
Qu’est-ce que le principe de subsidiarité ?
Selon la Cour de justice de l’Union européenne, le contrôle du respect du principe de subsidiarité comporte un double niveau : examiner si l’objectif de l’action envisagée peut être mieux réalisé au niveau communautaire, mais aussi si l’intensité de l’action entreprise n’excède pas la mesure nécessaire pour atteindre l’objectif que cette action vise à réaliser.
Par conséquent, le principe de subsidiarité comprend certains éléments de proportionnalité.
Comment les Parlements nationaux contrôlent-t-ils le respect du principe de subsidiarité ?
Conformément à l’article 6 du protocole, tout Parlement national peut, dans un délai de huit semaines à compter de la date de transmission d’un projet d’acte législatif, adresser aux présidents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission un avis motivé exposant les raisons pour lesquelles il estime que le projet en cause n’est pas conforme au principe de subsidiarité.
En France, ce contrôle est prévu à l’article 88-6 de la Constitution.
Le Sénat prévoit la procédure suivante :
– la commission des affaires européennes adopte une proposition de résolution ;
– la commission compétente au fond (en l’espèce, la commission des finances) statue en concluant soit au rejet, soit à l’adoption de la proposition. Dans ce dernier cas, le texte adopté par la commission constitue une résolution du Sénat.
Notez que la commission des affaires européennes du Sénat a systématisé le contrôle de subsidiarité.
Cette résolution a-t-elle un pouvoir de blocage ?
Dans le cadre du contrôle de subsidiarité, les parlements nationaux ne disposent pas d’un pouvoir de blocage, sauf à effectuer une saisine de la Cour de Justice pour violation du principe de subsidiarité (1).
En amont, la procédure est la suivante. Chaque parlement national dispose de deux voix (une par chambre dans le cas des parlements bicaméraux). Lorsque les avis motivés sur le non-respect du principe de subsidiarité représentent au moins un tiers des voix, la Commission peut décider « soit de maintenir le projet, soit de le modifier, soit de le retirer ». Elle a pour seule obligation de motiver sa décision.
Le véritable contrôle « politique » du principe de subsidiarité a lieu au cours de la procédure législative communautaire, lorsque, une majorité des parlements nationaux conteste la conformité d’une proposition législative au principe de subsidiarité. En effet, dans ce cas « si, en vertu d’une majorité de 55 % des membres du Conseil ou d’une majorité des suffrages exprimés au Parlement européen, le législateur est d’avis que la proposition n’est pas compatible avec le principe de subsidiarité, l’examen de la proposition législative n’est pas poursuivi ».
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(1) En aval du processus décisionnel européen, le Parlement français peut, depuis l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne le 1er décembre 2009, former des recours devant la Cour de justice de l’Union européenne contre un acte législatif européen pour violation du principe de subsidiarité. Ce recours est de droit à la demande de 60 députés ou 60 sénateurs.
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