Deux textes supranationaux, actuellement en cours d’élaboration, nous imposeraient de modifier notre Constitution afin d’y introduire une règle d’or budgétaire :
Le Traité sur la Stabilité, le Coordination et la Gouvernance de l’Union économique et monétaire (TSCG)
Ce Pacte budgétaire prévoit l’instauration d’une règle d’or sur le modèle allemand:
– un déficit structurel limité à 0,5% du PIB (au lieu de 1% actuellement),
– la mise en place d’un mécanisme de correction automatique,
– l’inscription du principe de l’équilibre dans les législations nationales.
Tous ces éléments précités doivent être introduits dans la législation nationale, dans un délai d’un an suivant l’entrée en vigueur du Traité, sous forme de dispositions contraignantes et permanentes, de préférence constitutionnelles.
Le règlement établissant des dispositions communes pour le suivi et l’évaluation des projets de plans budgétaires et pour la correction des déficits excessifs dans les États membres de la zone euro
Si ce règlement est adopté conformément au projet remis par la Commission, les États auront l’obligation:
– d’inscrire dans leur législation nationale les critères de stabilité (déficit limité à 3% du PIB, dette à 60%),
– mettre en place un « Conseil budgétaire indépendant » chargé de veiller au respect des critères,
– communiquer à la Commission leur projet de loi de finances (« plan budgétaire ») afin que celle-ci puisse émettre des recommandations.
Dans son rapport relatif au projet de loi de finances rectificatives pour 2012, le Sénat s’interroge : « la France devra-t-elle vraiment inscrire la règle de solde dans sa Constitution ? »
S’appuyant sur les écrits de Monsieur Richard Yung, sénateur, le rapport conclue à la nécessité d’une réforme constitutionnelle :
« Quand bien même nous déciderions de ne transposer ce principe qu’à un niveau législatif (en fait celui d’une loi organique) et non constitutionnel, nous n’échapperions quand même pas à la nécessite de modifier notre Constitution. En effet, pour que le principe acquière une force véritablement contraignante […] il faudrait que le Conseil constitutionnel puisse opérer un contrôle systématique sur nos lois de finances, afin de vérifier que nos objectifs de moyen terme sont correctement respectés. Or, seule la Constitution peut prévoir un contrôle obligatoire du Conseil constitutionnel. De ce fait, il paraît peu vraisemblable que la base juridique retenue suffise pour imposer une réforme d’une aussi grande portée. »
Si ces deux textes appellent à une réforme similaire, restent qu’ils ont une nature juridique distincte: le Pacte budgétaire est un Traité intergouvernemental qui exige pour entrer en vigueur une ratification des Parlements nationaux, le règlement est un texte européen approuvé uniquement par les institutions européennes (Parlement européen et Conseil européen).
Ainsi, ce dernier ne nécessite pas l’approbation des élus nationaux. Pour autant, ces derniers ont obtenu, via la réforme du traité de Lisbonne, des pouvoirs accrus en matière de contrôle des textes communautaires (directives, règlements).
C’est à l’occasion de ce contrôle que le Sénat a émis des réserves quant au respect du principe de subsidiarité par le règlement établissant des dispositions communes pour le suivi et l’évaluation des projets de plans budgétaires et pour la correction des déficits excessifs.
Le non respect du principe de subsidiarité
Qu’est-ce que le principe de subsidiarité ?
Selon la Cour de justice de l’Union européenne, le contrôle du respect du principe de subsidiarité comporte un double niveau : examiner si l’objectif de l’action envisagée peut être mieux réalisé au niveau communautaire, mais aussi si l’intensité de l’action entreprise n’excède pas la mesure nécessaire pour atteindre l’objectif que cette action vise à réaliser.
Par conséquent, le principe de subsidiarité comprend certains éléments de proportionnalité.
Selon le protocole n°2 au TUE, fixant les modalités d’application des principes de subsidiarité et de proportionnalité, « les projets d’actes législatifs sont motivés au regard des principes de subsidiarité et de proportionnalité ».
Comment les Parlements nationaux contrôle-t-il le respect du principe de subsidiarité ?
Conformément à l’article 6 du protocole, tout Parlement national peut, dans un délai de huit semaines à compter de la date de transmission d’un projet d’acte législatif, adresser aux présidents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission un avis motivé exposant les raisons pour lesquelles il estime que le projet en cause n’est pas conforme au principe de subsidiarité.
En France, ce contrôle est prévu à l’article 88-6 de la Constitution.
Le Sénat prévoit la procédure suivante :
– la commission des affaires européennes adopte une proposition de résolution ;
– la commission compétente au fond (en l’espèce, la commission des finances) statue en concluant soit au rejet, soit à l’adoption de la proposition. Dans ce dernier cas, le texte adopté par la commission constitue une résolution du Sénat.
Notez que la commission des affaires européennes du Sénat a systématisé le contrôle de subsidiarité.
Qu’indique la résolution du Sénat relative au règlement établissant des dispositions communes pour le suivi et l’évaluation des projets de plans budgétaires et pour la correction des déficits excessifs ?
La commission des affaires européennes du Sénat s’est montrée très critique envers le règlement. Elle a adopté sans débat et à l’unanimité un projet de résolution concluant au non respect du principe de subsidiarité.
Selon son rapporteur, Monsieur Richard Yung, « la proposition de règlement pourrait constituer un précédent dangereux, en ce qu’elle tend à obliger à des modifications constitutionnelles par voie de règlement ».
La résolution de la commission des finances, portée par Madame Brick, est venue cependant nuancer la position tranchée de la commission des affaires européennes.
Je vous livre ci-dessous les principaux éléments retenus contre le projet de règlement au regard du principe de subsidiarité :
– l’obligation de motivation des textes communautaires au regard du principe de subsidiarité
Monsieur Richard Yung conclue à une absence totale de motivation tandis que la résolution finale du Sénat indique l’absence de motivation explicite.
Comme l’indique Madame Brick, la CJUE retient que la motivation peut être implicite, ce qui serait le cas dans le présent projet de règlement.
– un acte de droit dérivé ne peut prescrire aux États de modifier leur Constitution
Si Monsieur Yung est sans appel, Madame Brick botte en touche : elle reconnait que la procédure est sans doute illégale et que cela explique que « les États ont choisi de faire figurer la « règle d’or » dans le projet de traité intergouvernemental actuellement en cours de négociation » afin que les Parlements nationaux puissent directement l’approuver.
Rappelons que si le Pacte budgétaire fait l’objet d’un traité intergouvernemental c’est uniquement parce que le Royaume Uni a refusé de prendre part à la réforme. Sinon, la règle d’or aurait vraisemblablement été institué dans le protocole relatif au déficit excessif (cette réforme aurait été effectuée sans l’aval des Parlements nationaux).
– le projet de règlement demandant de transposer une règle. A ce titre, il devrait donc faire l’objet d’une directive
– sur le respect du principe de subsidiarité stricto-sensus :
Tout d’abord, Monsieur Yung remet en cause le respect du principe de proportionnalité, indiquant qu’il n’est pas prouvé que la règle d’or est vraiment nécessaire, d’autant plus que l’on ne sait pas encore « si les derniers aménagements ne sont pas suffisants pour atteindre les objectifs fixés ».
Cette remise en cause n’a pas été suivie par la Commission des finances. Madame Brick estime que « dès lors que la politique budgétaire conduite dans un État a des conséquences sur les autres, on peut penser qu’une harmonisation des pratiques et des instruments s’inscrit dans une démarche qui relève bien du niveau communautaire ».
Par ailleurs, selon Monsieur Yung, les Traités laissent les États libres de choisir les moyens par lesquels ils choisissent de remplir leurs engagements relatifs au respect des critères de stabilité.
En obligeant les États à intégrer dans règle d’or dans leur législation nationale, le projet de règlement ne respecte pas le principe de subsidiarité : « L’Union européenne a le droit de contrôler les résultats, nul ne le conteste, mais dans l’état actuel des traités, elle n’est pas habilitée à dicter la méthode ».
Au regret de Monsieur Yung, cette critique a disparu de la résolution adoptée par la Commission des finances.
Cette résolution a-t-elle un pouvoir de blocage ?
Dans le cadre du contrôle de subsidiarité, les parlements nationaux ne disposent pas d’un pouvoir de blocage, sauf à effectuer une saisine de la Cour de Justice pour violation du principe de subsidiarité.
La procédure est la suivante. Chaque parlement national dispose de deux voix (une par chambre dans le cas des parlements bicaméraux). Lorsque les avis motivés sur le non-respect du principe de subsidiarité représentent au moins un tiers des voix, la Commission peut décider « soit de maintenir le projet, soit de le modifier, soit de le retirer ». Elle a pour seule obligation de motiver sa décision.
Le véritable contrôle « politique » du principe de subsidiarité a lieu au cours de la procédure législative communautaire, lorsque, une majorité des parlements nationaux conteste la conformité d’une proposition législative au principe de subsidiarité. Dans ce cas, si 55 % des membres du Conseil ou une majorité des suffrages exprimés au Parlement européen, l’examen de la proposition législative n’est pas poursuivi.
Comment le Sénat entrevoit-il l’avenir du règlement contesté ?
Un texte susceptible d’évoluer par coordination avec le projet de Traité européen (Pacte budgétaire)
Dans le rapport de Madame Bricq, il est indiqué que certains États envisagent de supprimer du règlement la disposition relative à la règle d’or, son inscription parallèle dans le Traité lui faisant perdre son utilité.
Pour ma part, je pense que cette argumentation ne tient pas :
– d’une part, les dispositions contenues dans le règlement sont plus contraignantes pour les États que celles contenues dans le Pacte budgétaire : la CJUE pourrait être saisie non seulement par les États, mais également par la Commission (gardienne des Traités) ; les amendes inscrites dans les Traités sont plus élevées ; etc.
Par conséquent, le règlement prévoit des dispositions, non seulement plus strictes, mais différentes de celles inscrites dans le TSCG.
Il est donc faux de penser que le TSCG pourrait remplacer la règle d’or inscrite dans le règlement.
– d’autre part, il n’est pas assuré que le pacte budgétaire puisse entrer en vigueur : le seuil des 12 États l’ayant ratifié pourrait ne pas être atteint, l’implication des parlements nationaux pourrait conduire à des amendements du Traité.
Par conséquent, et l’actualité le démontre, les institutions européennes cherchent à introduire les dispositions contenues dans le Pacte budgétaire dans le règlement communautaire.
Au vu de la répartition des sièges au Parlement européen et de la composition du Conseil, deux institutions majoritairement à droite, il n’est pas folie de penser que la règle d’or contenue dans le projet de règlement sera bel et bien adoptée.
Par conséquent, choisir d’évacuer le problème du respect du principe de subsidiarité en pariant sur un retrait des dispositions discutables, est très contestable et marque une fois de plus le manque détermination des parlementaires de protéger les prérogatives nationales.
[box]Merci d’avance à tous ceux qui publient/relaient mes articles. Merci cependant de sélectionner un extrait et de mettre le lien vers l’article original! Magali[/box]
Retrouvez l’ensemble des documents sur le site du Sénat à cette adresse : http://www.senat.fr/dossier-legislatif/ppr11-228.html
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