2005, François Bayrou alerte l’opinion sur la privatisation des « bijoux de famille » par l’État, et ce, sans consultation préalable du Parlement. Les réactions s’enchainent, tant à gauche qu’à droite, et la presse relaie massivement le débat, titrant sans hésitation « l’État privatise les autoroutes ». Une lecture plus attentive des interventions de chacune des parties aurait sans doute permis de cerner avec plus de précision l’objet de la discorde mais il n’en fut rien. Encore aujourd’hui, les médias et l’opinion se fourvoient.
En réalité, il ne s’agissait aucunement de vendre les autoroutes mais de vendre les sociétés concessionnaires d’autoroutes. Si les deux éléments sont tout autant discutables, il reste que les différences sont notables: il s’agit de concéder, et non de céder.
A l’époque, Dominique Perben, alors ministre des transports, avait fait une mise au point sans équivoque: « Les autoroutes restent dans le domaine public, c’est le droit de les exploiter pendant une certaine durée qui sera confiée à des entreprises qui deviennent privées. A l’échéance des concessions, entre 2026 et 2032, celles-ci redeviendront à l’État qui pourra les concéder de nouveau ».
Traduction
Afin de comprendre la réforme adoptée en 2005 sous le gouvernement De Villepin, il convient de faire un petit historique du régime d’exploitation des concessions d’autoroutes.
Sur la base de la loi du 18 avril 1955 portant statut des autoroutes, l’État a pu concéder la construction et l’exploitation de sections d’autoroutes à des sociétés dans lesquelles les intérêts publics étaient alors majoritaires.
Ainsi, jusqu’en 1964, cinq sociétés d’économie mixte concessionnaires d’autoroutes (dites SEMCA) voient le jour: ESCOTA, ASF (ex SAVR), APRR (ex SAPL), SAPN et SANEF.
Afin de financer ses investissements, le concessionnaire se rémunère directement auprès de l’usager par une redevance fixée dans le contrat de concession et révisable.
En 1983, un établissement public nommé Autoroutes de France (ADF) est créé afin de gérer conjointement le capital public de l’ensemble des SEMCA (par l’introduction d’un mécanisme de péréquation).
A cette époque, et jusqu’en 2001, les recettes tirées de l’exploitation des autoroutes les plus anciennes servaient à financer la construction des nouvelles sections. Cette procédure, appelée « adossement », accordait un avantage non négligeable aux concessionnaires déjà en place pour l’octroi d’une concession dont les recettes prévisionnelles étaient jugées insuffisantes pour lui permettre d’atteindre l’équilibre budgétaire.
En 1993, la réglementation communautaire, via la « Directive Travaux », impose un recours à la plus large concurrence. Ainsi, par la loi du 5 novembre 2001, la procédure de l’adossement est remplacée par un système de subventions et les conditions de gestion des SEMCA sont rapprochées de celles des sociétés privées. En contrepartie, celle-ci bénéficient alors d’un allongement de la durée de leur concession.
Depuis cette réforme, l’État s’est progressivement désengagé du capital des SEMCA:
- en 2001, le gouvernement Jospin annonce l’ouverture minoritaire (49%) du capital d’ASF et son introduction en bourse.
- En 2004, une ouverture de capital couplée à une introduction en bourse de APRR fait passer la part de capital public de 98,92% à 70,22%.
- En 2006, l’État cède ses parts dans les trois sociétés ASF, APRR et SANEF. Celles-ci sont privatisées. Le prix de cette vente n’est pas fixé par l’État, il est le fruit de la compétition entre les candidats.
Dans le même temps, l’État accorde des concessions pour une durée limitée allant de 23 à 27 ans. A terme, celles-ci lui reviendront de nouveau.
Par conséquent, ce ne sont pas les autoroutes qui ont été cédées, mais bien les sociétés qui assurent leur exploitation.
Cette exploitation doit toujours se faire dans le respect des obligations de service public (établies par le cahier des charges de la concession). Un commissaire du gouvernement est choisi pour chacune des sociétés afin d’assister, avec voix consultative, aux conseils d’administration et veiller à la bonne exécution des contrats de concession.
Pourquoi, au moment même où la gestion des autoroutes commençaient à devenir rentable, l’État a-t-il choisi de vendre ses parts?
Outre l’argumentaire libéral d’une gestion plus souple et plus efficaces des « ex-SEMCA » garantie grâce au retrait de l’État de son capital, les deux raisons principales évoquées étaient:
– le remboursement d’une part de la dette nationale,
– le financement de nouvelles infrastructures.
Aujourd’hui encore, cette privatisation des entreprises concessionnaires fait grincer des dents, le gouvernement Villepin étant accusé d’avoir brader ses parts. Qu’en est-il?
Les parts ont été vendues pour un total de 15,5 milliards d’euros, au lieu des 22 auxquels les estimaient la Cour des comptes.
Le prix semblent encore plus dérisoire quand on réévalue aujourd’hui le montant des bénéfices, environ 40 milliards, qui seront engrangés par les sociétés concessionnaires d’ici 2030.
Vous l’aurez compris, les sociétés concessionnaires ne font face à aucun risque de déséquilibre devant la profusion des bénéfices qui s’offrent à elles. Sachez que si cela était le cas, l’État, dans un souci de continuité du service public, viendrait à leur secours. Cette injustice a largement été mis en exergue par la Cour des Comptes en 2007, dans un rapport sur le réseau ASF: « L’équilibre de la concession n’est interprétée qu’à sens unique, en faveur du concessionnaire […]. Le risque de déséquilibre en sens contraire, c’est à dire de profits excessifs dans l’exercice d’une mission de service public, n’est pas pris en compte. »
Des cadeaux, encore des cadeaux
Comme tout occupant du domaine public, les concessionnaires versent chaque année à l’État une redevance domaniale. Instituée par le décret du 31 mai 1997, elle constitue une contrepartie de l’avantage que les sociétés tirent de l’occupation, et est proportionnelle à la longueur du réseau et au chiffre d’affaire réalisé. En 2007, celle-ci s’élevait à 165 millions d’euros, en 2008 à 170 millions d’euros. Bien maigrichonne vous me direz…
Pour 2009, l’État, dans un élan de courage, avait annoncé une hausse de 180%, portant la redevance à 475 millions d’euros. Les conséquences ne se sont pas fait attendre: « Nous, pôôôvres concessionnaires, risquerions d’être déstabilisés. Une hausse des tarifs des péages pourrait en résulter (chantage n°1), ce qui se trouveraient en contradiction avec la politique en matière de pouvoir d’achat (lol). De plus, une telle hausse risquerait de porter atteinte à la crédibilité de l’État au moment où celui-ci cherche à développer les partenariats publics-privés (chantage n°2) ».
Fin de la partie. Le gouvernement a reculé. Les tarifs de péages ont tout de même augmenté.
Pire encore, le gouvernement s’est retourné.
En 2010, cinq des six sociétés concessionnaires ont obtenu du gouvernement la prolongation d’un an de leur concession, soit un cadeau estimé à 2 milliards d’euros. En échange, celle-ci se sont engagées à réaliser des investissements dits « écolo » d’un montant de 1,03 milliard d’euros sur trois ans (notamment: la mise en place de péage automatiques).
Par décret publié le 29 mai 2013 au Journal officiel, le gouvernement a officialisé l’augmentation de la redevance domaniale – le « loyer » payé par année par les entreprises à l’Etat pour l’occupation du domaine public – . Celle-ci est passée de 180 à environ 290 millions d’euros par an.
Les sociétés concessionnaires, qui considèrent que cette hausse n’est pas conforme aux principes contractuels de la concession de service public (elle est en effet substantielle), ont fait connaitre leur volonté d’engager un recours.
Une mauvaise nouvelle n’arrivant jamais seule, et suite au rapport accablant de la Cour des Comptes en matière de tarifs autoroutiers, la hausse des péages de 2014 sera la plus faible enregistrée depuis 10 ans.
Les concessionnaires semblent donc appelés par le gouvernement à un peu se serrer la ceinture.
Cependant, afin de finaliser son plan de relance autoroutier le gouvernement socialiste a cédé sur le volet de la durée des concessions.
Très récemment, le journal Marianne nous a appris que le gouvernement Ayrault entendait finaliser son plan de relance en prolongeant une nouvelle fois, de trois ans, la durée d’exploitation des autoroutes par leurs actuels concessionnaires. Ce plan reporte à 2033 en moyenne la fin des concessions dont disposent les groupes Vinci, Eiffage et Albertis.
En contrepartie, ceux-là devraient prendre à leur charge une vingtaine de projets d’aménagement de sections autoroutières autour de grandes villes, de liaisons entre des autoroutes existantes, ou encore la mise aux normes de sections existantes. L’ensemble devrait représenter un montant de 3,7 milliards d’euros.
Un rapport accablant de la Cour des Comptes
La Cour des comptes a rendu public, le 24 juillet 2013, un rapport sur les relations entre l’État et les sociétés concessionnaires d’autoroutes commandé par la commission des finances de l’Assemblée nationale. Voici ses principales remarques:
1°) L’Etat ne dispose pas des moyens nécessaires pour mettre en oeuvre un « rapport de force favorable » dans les négociations avec les sociétés concessionnaires d’autoroutes.
2°) L’État ne se montre pas assez exigeant en cas de non-respect de leurs obligations par les concessionnaires. Il met rarement en oeuvre les instruments contractuels dont il dispose (possibilité de mise en demeure et de pénalités) et ne subordonne pas la négociation des contrats de plan au respect par les concessionnaires de leurs obligations contractuelles « de base ».
3°) Les contrôles de l’administration sur les tarifs sont en revanche plus approfondis et mieux documentés.
4°) Le cadre juridique relatif aux tarifs n’offre pas aujourd’hui une protection suffisante aux intérêts du concédant et des usagers.
Surtout, l’État a accepté de compenser par des hausses de tarifs un grand nombre d’investissements de faible ampleur, dont l’utilité pour l’usager n’était pas toujours avérée, ou qui relevaient des obligations normales des concessionnaires.
5°) Le modèle financier du ministère chargé des transports calcule les hausses tarifaires de base sur des hypothèses macroéconomiques qui sont souvent à l’avantage des concessionnaires, notamment celles relatives aux perspectives d’évolution du trafic ou des charges de personnel.
[box]Merci d’avance à tous ceux qui publient/relaient mes articles. Merci cependant de sélectionner un extrait et de mettre le lien vers l’article original! Magali[/box]
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