Le Traité instituant le Mécanisme européen de stabilité est-il légal? (la suite)

Hier les députés ont approuvé le fameux Mécanisme européen de stabilité.

En réalité, deux textes étaient soumis à leur approbation:

1/ La loi autorisant la ratification de la décision du Conseil européen modifiant l’article 136 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) (voir les votes)

2/ La loi autorisant la ratification du traité instituant le mécanisme européen de stabilité (voir les votes)

J’écrirai un peu plus tard un article synthétisant le contenu des débats et les positions tenues par chacun des groupes politiques.

L’objet de cet article est plus précis: faire le point sur la question de la légalité du Traité MES.

Je salue à ce titre l’excellente intervention de Monsieur Jean-Pierre Brard qui a parfaitement exposé les interrogations persistantes quant à la légalité du mécanisme mis en place.

Lors de l’exposé de la motion de rejet présenté par les membres du groupe de la Gauche démocrate et républicaine, deux questions ont été clairement mises en évidence par le député:

  • « La modification de l’article 136 par voie de la procédure de révision simplifiée est-elle légale ou ne l’est-elle pas? »
  • Un traité qui serait « inconstitutionnel »

Qu’en est-il de ces deux questions?

La légalité de la modification de l’article 136 du TFUE

Depuis octobre 2011, je m’interroge sur la légalité de l’usage de l’article 48 du TUE (procédure simplifiée) pour modifier l’article 136 du TFUE.

En effet l’usage de la procédure simplifiée requière que la modification du Traité n’entraine pas une augmentation des compétences de l’Union européenne (pour plus d’explications,cliquez ici).

Pour permettre l’usage de la procédure simplifiée, les dirigeants européens ont choisi de créer le mécanisme en dehors du droit de l’Union européenne.

Ainsi, le rapport fait au nom de la Commission des affaires étrangères par Monsieur Henri Plagnol indique: « Le traité qui créée le MES n’est pas un traité de l’Union européenne. C’est une « institution financière internationale » qui est créée […]. Elle est tout à fait distincte de l’Union européenne et n’est pas régie par son droit. »

Pour autant, le même rapport reconnaît que le Traité MES « se combine avec [l’environnement juridique et institutionnel] existant d’une façon parfois très novatrice, parfois source d’interrogations légitimes ».

En effet, « Sur le plan institutionnel, c’est à un curieux mélange que le traité aboutit. Outre le fait que l’imbrication juridique entre le traité et le droit de l’Union européenne conduit nécessairement à associer des institutions communautaires, un raisonnement pragmatique aboutit également à tirer les conséquences de l’expertise technique de la Commission européenne, d’une part, de la Banque centrale européenne de l’autre, dans le diagnostic et la mise en œuvre d’une assistance. »

C’est justement l’intégration très poussée des institutions européennes qui m’avait conduit à m’interroger sur la légalité de l’usage de la procédure simplifiée.

Cette inquiétude est partagée par Monsieur Jean-Pierre Brard qui estime que « le traité créant le MES indique très clairement que, via la participation au mécanisme de la Commission européenne, de la Banque centrale et de la Cour de justice, l’Union accroîtra très sensiblement ses compétences au détriment de la souveraineté des États membres ».

Selon lui, le choix de cette procédure a été uniquement dicté dans l’optique « d’éviter les fourches caudines des procédures nationales de ratification par voie référendaire » (c’est en effet ce qui ressortait explicitement de l’exposé des motifs du projet de loi).

Questionné à ce sujet, le ministre chargé des Affaires européennes, Monsieur Jean Leonetti, n’a pas répondu.

Quant Monsieur Brard a indiqué, à juste titre, que les « français nous regardent, nous écoutent et s’interrogent », Monsieur Christian Jacob a trouvé malin d’indiquer qu’ « ils ont décroché, depuis tout le temps que vous parlez! ». Sans doute le chef du groupe UMP, ayant lui même « décroché » n’a-t-il pas saisi l’importance de la question…

Dommage que le Front de Gauche n’ait pas introduit dans sa motion de rejet préalable, une motion telle que définie par l’article 88-7 de la Constitution: « Par le vote d’une motion adoptée en termes identiques par l’Assemblée nationale et le Sénat, le Parlement peut s’opposer à une modification des règles d’adoption d’actes de l’Union européenne dans les cas prévus, au titre de la révision simplifiée […]. »

Cela aurait peut-être permis d’approfondir cette question sensible.

Je vais m’empresser de soumettre cette idée aux sénateurs de gauche.

Reste que dans son rapport fait au nom de la Commission des affaires étrangères, Monsieur Henri Plagnol indique que cette attribution de compétences supplémentaires aux institutions, non prévues par les traités de l’Union européenne, est conforme à la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union: « En effet, elle ne dénature pas les compétences que les traités confèrent à ces institutions, c’est-à-dire ne porte pas atteinte à l’autonomie de l’ordre juridique de l’Union, ni ne dénature les institutions elles-mêmes, car les tâches confiées ne sont pas substantiellement différentes des compétences qui leur sont conférées par les traités de l’Union« .

Le traité MES est-il conforme à la Constitution française ?

Monsieur Jean-Pierre Brard indique que « la procédure de ratification de ces textes est peut-être légale, mais [que] leur contenu est inconstitutionnel ».

Pour ce faire, il s’appuie sur:

  • l’article 14 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen: « Tous les Citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs Représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d’en suivre l’emploi et d’en déterminer la quotité, l’assiette, le recouvrement et la durée. »
  • l’article 3 de la Constitution: « La souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum. »
  • l’article 39 de la Constitution: « Les projets de loi de finances et de loi de financement de la sécurité sociale sont soumis en premier lieu à l’Assemblée nationale. »

Je suis très réservée quant aux fondements juridiques retenus par Monsieur Brard.

En effet, toutes les sommes engagées par la France au titre du MES feront l’objet de lois de finances et seront donc soumises à l’approbation du Parlement français.

Juridiquement le Parlement reste donc pleinement compétent en matière budgétaire.

Politiquement en revanche, les choses s’avéreront plus compliquées.

  • le capital dit « libéré »

Le MES, en cas de défaut d’un État empruntant par son intermédiaire, pourra exiger des États membres qu’ils remboursent à sa place. Pour cela un capital libéré par les États est à disposition du MES.

A ce titre, un projet de loi de finances rectificative pour 2012 sera bientôt examiné afin de permettre le versement de ce capital. La France, en vertu de la clé, devra verser plus de 16 milliards euros au titre du capital libéré.

Si le Conseil des Gouverneurs dirigeant le MES (composé des ministres des finances) souhaite augmenter le niveau du capital libéré, il devra également obtenir l’aval des parlementaires français.

  • le capital « non libéré »

Si le capital libéré s’avérait insuffisant, le Directeur Général du MES pourra faire appel au capital non libéré (capital garanti par les États, soit 142 701 300 000 euros pour la France): les États s’engageront alors inconditionnellement et irrévocablement à procéder au paiement dans les 7 jours suivant l’appel (Source:La Théorie du Tout).

Le rapport de la Commission des Affaires étrangères indique « que cette situation est très improbable, dans la mesure où le MES disposera de 80 milliards de capital libéré ».

« Si toutefois, par pure hypothèse, la procédure d’appel en urgence du 3 de l’article 9 devait être mise en œuvre, la France y répondrait au moyen des dispositions d’urgence prévues par la loi organique relative aux lois de finances, en particulier celles mentionnées à l’article 13. »

Ainsi, la décision finale engageant les finances françaises revient aux parlementaires.

Cependant, les sommes sur lesquelles s’entendent les États sont bien décidées par les ministres des finances (ou le directeur général).

Il n’est donc pas exagéré de dire quele Parlement devient une simple chambre d’enregistrement. Politiquement, il sera en effet très difficile de s’opposer aux décisions prises par le MES.

Il semblerait que les élus du Front de Gauche entendent saisir le Conseil Constitutionnel quant à la constitutionnalité du traité.

Rappelons qu’une telle saisine doit, conformément à l’article 61 de la Constitution, être effectuée avant la promulgation d’une loi, « par le Président de la République, le Premier ministre, le Président de l’Assemblée nationale, le Président du Sénat ou soixante députés ou soixante sénateurs ».

Le compte ne sera certainement pas au rendez-vous.

A juste titre, Monsieur Nicolas Dupont-Aignan est donc parfaitement dans le vrai lorsqu’il indique que « l’Assemblé e abandonne son pouvoir budgétaire que lui confie la Nation », « se suicide devant les Français pour soutenir une politique scandaleuse donnant l’argent du peuple à des institutions supranationales ».

« Libre à vous d’aider le MES, mais faites-le en maintenant un contrôle budgétaire! »

Le Parlement français doit [enfin] prendre ses responsabilités et exiger [enfin] que des nouvelles procédures internes soient mises en place afin d’obtenir son aval avant tout engagement financier de la France.

La Cour constititionnelle allemande saisie par plusieurs économistes et par un député a exigé, dès septembre 2011 (premier plan d’aide à la Grèce), que dans le cadre de mécanismes ayant des implications financières significatives et pouvant peser de façon non prévisible sur le budget, le Bundestag doit s’assurer que son autorisation préalable est rendue obligatoire aux étapes ultérieures.

Les parlementaires français, lors de tous les votes de lois de finances impliquant de tels engagements, n’ont jamais défendu leur pouvoir budgétaire.

Pour lire l’intégralité des débats, cliquez-ici.


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