“Maastricht est la fin d’un processus. Ce sont des choses qui ont été préparées: la libéralisation des marchés dans les années 1980 « pour entrer dans l’euro » (selon Delors).
Personne ne fait le lien entre la libéralisation des marchés financiers et la mise en place de l’euro (directive Delors-Lamy de 1988).
La loi de 73 a été une porte d’entrée. Elle en est une trace législative.
Nous avons choisi cette porte d’entrée à la demande de Pierre Jovanovic. Premier pas explicite vers l’indépendance des banques centrales.
Maastricht est un bout de chaine qui radicalise la loi de 1973 puisqu’il nous interdit le marché primaire et le marché secondaire.
Pour arriver à Maastricht, cet objectif de fédéralisation forcé des Etats européens, il fallait donc en faire l’histoire.”
Pierre-Yves Rougeyron
(Radio Ici et Maintenant, 27 mars 2013)
INTRODUCTION
« Enquête sur l’Union économique et monétaire » : voilà comment aurait-dû s’intituler, selon nous, le livre de Pierre-Yves Rougeyron.
En effet, l’auteur s’est livré à un joli travail de recherche historique sur l’influence des lobbies bancaires, notamment américains, qui ont précédé la construction de la monnaie unique européenne. Nous regrettons cependant que ces informations intéressantes soient mises au service d’une thèse que nous jugeons erronée : l’idée que la loi du 3 janvier 1973 est une cassure dans les habitudes de financement de l’Etat auprès de sa Banque centrale, constituant ainsi un “mini-maastricht”.
Contexte
Suite à la tribune d’Alain Beitone sur le site LeMonde.fr (1), dans laquelle il évoquait ses doutes sur ce qu’on pense souvent de la loi du 3 janvier 1973, nous avons travaillé à l’étude de celle-ci afin d’élucider la question suivante: Empêchait-elle, via son article 25, l’Etat d’emprunter auprès de la Banque de France à des taux avantageux ?
Le 10 mars 2012, nous avons publié un article expliquant les conclusions de nos travaux (2). Ces dernières ont fait l’objet d’une sérieuse polémique sur le site d’Etienne Chouard (3) mais le coeur du sujet a été reconnu par tous:
1) La loi de 1973 ne posait qu’une seule interdiction, celle de l’escompte en faveur du Trésor public, qui existe depuis au moins 1936.
2) Son article 19 venait confirmer la tradition des conventions pour encadrer les prêts et les avances de la Banque à l’Etat.
Ainsi, non seulement la loi ne changeait rien à la situation sur ce plan, mais elle simplifiait le cadre et le fonctionnement de la Banque de France tout en clarifiant sa législation.
Malheureusement, les conclusions de cette recherche ainsi que les arguments avancés lors de la polémique n’ont pas été repris par Pierre-Yves Rougeyron dans son livre “Enquête sur la loi du 3 janvier 1973”.
I. Un gros problème sur la forme :
Ce livre, dédié entièrement à la loi de 1973, ne laisse apparaitre aucune analyse juridique du texte. A aucun moment l’auteur ne prend deux à trois pages pour énumérer, article après article, les réels changements induits par cette loi.
Alors qu’il ne cesse de parler de la prise d’indépendance de la Banque de France, le lecteur ne sait absolument pas ce que cela signifie concrètement. Est-ce que l’Etat n’a plus de droit sur cette banque ? Est-ce que l’Etat n’a plus le droit d’emprunter auprès de cette banque ? Comment prend-elle cette indépendance ? Quel article stipule cette indépendance ? On n’en saura pas plus. C’est pourtant l’objectif assumé du livre que de démontrer que cette loi est un premier pas dans la prise d’indépendance de la Banque. On reste un peu sur sa faim.
Il est facile de critiquer, moins facile de faire, il est vrai. Néanmoins il est tout simplement étonnant qu’un livre consacré à une loi bien particulière ne s’applique pas à la décrire et à la décrypter.
II. La loi de 1973: la loi qui « privatise » et « tue » la Banque de France
Comme la plupart de gens qui parlent de cette loi, l’auteur a un parti pris qui repose sur deux points :
1) la loi de 1973 serait une cassure dans l’histoire des relations d’emprunt entre l’Etat et la Banque de France: il y aurait un avant et un après loi de 1973 ;
2) la loi de 1973 aurait forcément quelque chose à voir avec l’endettement massif de la France (Page 159: “Grâce à la loi de 1973 et à ses suites, la France a aujourd’hui une dette de … ”) ;
Or si l’on aborde l’étude d’une loi avec ce parti pris, on va chercher à tout prix à faire coller les faits à sa théorie plutôt que la théorie avec les faits. S’en suit une série de connexions farfelues mais malheureusement tout à fait répandues aujourd’hui comme par exemple le fait que Maastricht serait l’extension de 1973 aux Etats membres de l’Eurozone (rien n’est plus faux, comme nous le verrons plus loin).
Selon l’auteur, le processus d’abandon de la monnaie aurait commencé en 1973. De fait, la France aurait été « mise en esclavage » (page 171) grâce à « un hold-up pur et simple » des marchés financiers (page 173). La loi de 1973 serait une « expropriation » (page 181), une « prise du pouvoir politique par les puissances de l’argent« , une « OPA hostile sur nos vies et notre société« .
Comment ? C’est là que le problème se corse. Car sur ce point l’auteur n’est pas très prolixe:
1) Il reconnait que l’article 25 (longtemps accusé, à tort, de supprimer le droit de financement de l’Etat par la banque de France) relève d’un simple et inutile amendement parlementaire.
2) Il cite également l’article 19 autorisant les prêts et les avances à l’Etat en indiquant que ces derniers ont toujours fait l’objet de conventions avec le Parlement (4).
3) Il termine en évoquant la convention de décembre 1973 limitant la possibilité des avances au Trésor. S’il est vrai que les avances étaient alors limitées à 20,5 milliards de francs, il aurait été plus juste d’indiquer également aux lecteurs que la convention ne fait alors que des reprendre des plafonds et limites d’avances existant déjà avant la loi de janvier 1973.
Ainsi, l’auteur semble tirer de cette convention la preuve de l’interdiction pour l’Etat de se financer auprès de la Banque de France.
Or, rien n’empêchait l’Etat d’augmenter lesdits plafonds en signant une nouvelle convention, d’autant plus que l’auteur reconnait lui-même que le gouverneur de la Banque de France pouvait difficilement « refuser de signer des conventions » (page 18).
Le fait est qu’au niveau de l’endettement de la France vis-à-vis de sa Banque centrale, stricto-sensus, la loi de 1973 ne change absolument rien.
Les seules dispositions ayant trait à la gestion des comptes du Trésor (et des avances et concours de la Banque à celui-ci) ne sont que des reprises des textes existants. En effet, il n’était pas besoin de réformer ces procédures qui avaient cours depuis la création de la Banque. L’article 25 est une disposition prudentielle qui n’amène rien de nouveau. La mobilisation des effets cautionnés (avances sur titres de redevables des impôts) reste autorisée (comme auparavant) par l’article 18 (qui sera abrogé lors de la convention de 1973 qui fond l’ensemble des avances dans une seule ligne d’avances auprès de la Banque de France), donc pas de changement non plus à ce niveau là. Bref, le financement du Trésor n’est absolument pas mis en cause par la loi de 1973.
Il n’y a donc de ce côté aucune cassure.
III. Une argumentation faussée
Le problème, c’est que toute l’argumentation du livre repose sur les prétendus changements règlementaires entrainés par la loi de 1973 – changements qui feraient de cette loi “une porte d’entrée”, “une trace législative” de la libéralisation des marchés financiers nécessaire à la mise en place de la monnaie unique.
Dans l’objectif de corseter la politique monétaire de l’Etat français, la loi de 1973 aurait été votée pour (5):
1) empêcher tout risque d’inflation ;
2) mettre fin à la politique de planche à billets utilisée jusqu’alors ;
3) servir de modèle au Traité de Maastricht ;
Or, nous venons de le voir, aucun argument concret n’est amené sur les changements juridiques engendrés par la loi de 1973.
Le mythe de la loi “anti-inflation”
Puisqu’il existe aujourd’hui un parti pris sur cette loi, qui veut qu’elle aurait empêché l’Etat d’emprunter auprès de sa Banque en créant de la monnaie, cet axiome appelle une cause. Pourquoi a-t-on voté cette loi ? La réponse de certains est que “cela arrange les banquiers”, la réponse d’autres personnes est technique : elle a été votée “pour juguler l’inflation”.
Or comme nous l’avons vu, la loi ne change absolument rien aux relations d’emprunts qui existent entre l’Etat et sa Banque, qui peut continuer de lui faire bénéficier de ses liquidités, créées pour l’occasion. Une majorité qui l’aurait réellement voulu aurait pu passer une convention qui aurait fait exploser l’inflation, en demandant la création de dizaines de milliards de Francs en peu de temps. La loi ne jugule donc absolument pas le risque inflationniste.
D’ailleurs, comme dit plus haut, les discussions parlementaires ne portent pas du tout sur l’inflation, mais bel et bien sur la refonte des statuts de la Banque, en ce qui concerne son organigramme, sa gestion et ses outils.
Il est donc faux de reprocher aux auteurs de cette loi d’avoir usé de la peur de l’inflation pour permettre son adoption (le prétexte de l’inflation: pages 40, 77 et 119).
En revanche, l’article 104 de Maastricht, devenu article 123 de Lisbonne, a un véritable rapport avec l’inflation, puisqu’il interdit totalement la création de monnaie par acquisition directe des obligations d’Etats, comme on le verra plus loin.
Le grossissement du rôle de la Banque de France dans le financement du Trésor
Encore une idée très répandue : après la guerre, l’Etat aurait exclusivement financé ses déficits dus à la reconstruction grâce à des avances de la Banque de France. Et bien sur, la loi de 1973 serait venu casser cette dynamique.
Or il apparait de plus en plus que le véritable outil permettant la reconstruction et la création monétaire par l’Etat n’était pas la Banque de France, mais ce que l’on appelait le “Circuit du Trésor” (et dont la Banque de France était une composante).
L’auteur traite ce domaine dès le début du livre (à partir de la page 19). Il y implique énormément la Banque de France, alors que celle-ci n’y servait que d’intermédiaire entre le Trésor et le système bancaire. D’autre part, l’auteur fait une confusion sur la technique d’Open Market. Celle-ci est décrite comme étant une méthode de placement de la dette par l’Etat, alors que c’est une technique utilisée par les Banques Centrales pour intervenir sur les marchés obligataires afin de gérer la liquidité (achats de titres pour ajouter de la liquidité, vente pour en supprimer) (6).
Le circuit était un ensemble de mécanismes qui permettait au Trésor d’avoir constamment des liquidités à portée de main. Il semble que le mécanisme le plus “puissant” de cet ensemble de dispositifs fut ce qu’on appelait les “bons plancher” (ou le “plancher de bons”). Il existait en effet pour toute banque (privée et publique) une obligation de souscrire des “bons en compte courant” à hauteur d’un certain pourcentage de ses dépôts. Si ses clients déposaient 100 milliards de Francs dans ses coffres, la banque en question avait obligation d’en souscrire un certain pourcentage (par exemple 15 milliards de Francs si le pourcentage est de 15) en bons du Trésor.
Bien entendu, l’ensemble du système financier était vent debout contre cette situation, qu’on appelait chez certains économistes et financiers, la “répression financière”.
Non seulement on accusait le Trésor d’accumuler et d’attirer vers lui une trop grande masse des liquidités disponibles pour l’économie (et le secteur privé), mais on constatait de plus le caractère inflationniste de cette méthode.
Dès les années soixante, les bons planchers vont disparaitre et l’Etat va devoir trouver de nouvelles ressources (7).
De fait, si l’on devait dire à partir de quand l’Etat a réellement renoncé à la création monétaire publique, c’est sur les dispositifs du Circuit, et donc notamment sur le plancher de bons (définitivement supprimé en 1967), qu’il faudrait enquêter, plus que sur la loi de 1973.
Accessoirement, le livre indique que l’Etat aurait permis les avances aux Etablissements publics (sont cités EDF, GDF et Charbonnage de France) au sortir de la seconde guerre (page 19). En réalité, ces avances sont permises depuis le milieu du 19ème siècle. Nous verrons en fin d’article que la loi de 1973 ouvre d’ailleurs la liste des actifs que la Banque France pourra désormais accepter.
La loi de 1973 reprise et “déguisée” en articles du Traité de Maastricht
Encore une idée très répandue (et surtout un peu “mégalo” si l’on peut dire) consiste à dire que le Traité de Maastricht, qui consacre la première phase de l’union économique et monétaire, ne fait que reprendre la législation française de 1973 (Page 149: “La Banque centrale européenne reprend les points forts de la loi de 1973 en matière monétaire. La BCE ne peut pas prêter aux Etats, pas plus qu’elle ne peut acheter directement leur dettes”).
L’auteur convient tout de même que les deux ne sont pas identiques, mais que globalement, Maastricht n’est qu’un 1973 appliqué aux Etats de la future zone Euro (page 145). Or rien n’est plus faux.
En effet, comme nous venons de l’expliquer, l’article 19 de la loi de 1973 permet à l’Etat de passer des conventions avec la Banque de France, définissant ainsi les montants auquel le Trésor pourra avoir accès ainsi que le taux d’emprunt.
Or le traité de Maastricht, lui, par son article 104, interdit totalement les prêts, avances et concours à l’Etat par la Banque centrale d’un Etat membre.
Il est donc presque hallucinant d’imaginer que la France (dont la législation à l’époque de la signature du traité de Maastricht, permettait l’emprunt sans intérêts) ait pu imposer sa marque à plusieurs Etats, dont l’Allemagne en particulier.
L‘Allemagne, mais pas seulement (les Pays Bas, la Finlande et autres), ont une tradition de stabilité dans laquelle l’emprunt auprès de la Banque centrale est prohibé sauf en cas extrême (effort de guerre par exemple).
Constatant que la loi de 173 permet l’emprunt via les conventions, il est donc inexact d’indiquer que “Pour Berlin, la loi du 3 janvier correspond au fonctionnement normal d’une banque centrale” (page 149).
Plus encore, faire croire que le Traité de Maastricht se serait inspiré de la loi de 1973 pour l’imposer aux autres Etats, c’est nier la réalité historique qui est beaucoup plus simple : l’interdiction d’emprunter directement auprès de la Banque de France arrive avec le Traité de Maastricht, et ce n’est que la conséquence inéluctable de la création d’une monnaie commune coordonnée à l’échelle européenne. Non seulement c’est un choix géo-politique Allemand (et plus généralement de l’Europe du nord) qui sanctifie la stabilité de la monnaie et la non intervention de l’Etat sur celle-ci, mais surtout c’est une conséquence logique, technique, due à la mise en commun de la monnaie des Etats membres (8).
On voit donc qu’à l’inverse de la thèse de l’auteur, selon laquelle la loi de 1973 se serait ensuite imposée à l’Europe, c’est la loi traditionnelle de l’Europe du nord qui s’est imposée à la France en échange de la création de la monnaie unique européenne. La France perd ainsi l’article 19 de cette fameuse loi de 1973, qui lui permettait de faire ce que tout le monde semble réclamer aujourd’hui.
IV. Les imprécisions juridiques
En souhaitant étendre son propos à l’Union économique et monétaire ainsi qu’à la question, large, de la dette publique, l’auteur a malheureusement glissé dans son livre quelques erreurs juridiques.
En page 151, il décrit le Mécanisme européenne de stabilité (MES) comme un organisme “indépendant des Etats membres”, or ce sont les ministres des finances qui siègent au conseil des gouverneurs du MES. Il indique également que les Etats “jouiront de l’immunité diplomatique” et “seront donc intouchables et exemptés d’impôts”. On comprends mal à quoi se rapportent ces éléments puisque seuls les employés du MES jouissent de cette immunité diplomatique et de ces exemptions fiscales. De même, il est écrit que “le MES pourra demander aux autres Etats de verser des contributions (des milliards d’euros) dans les 7 jours, « sans condition » (article 9, alinéa 3), autrement les dirigeants du MES attaqueront en justice les Etats membres qui sont en retard de paiement”. En réalité, il s’agit de demander le versement des sommes que les Etats ont accepté de mettre à la disposition du mécanisme. Plus encore, cette procédure très médiatique (des 7 jours) ne serait enclenchée qu’en cas de grave problèmes de solvabilité pour le MES et n’est donc absolument pas la procédure classique. Enfin, il est indiqué que “Le MES pourra aussi augmenter son capital à tout moment et sans limites (article 10, alinéa 1) et cela sans que les Etats puissent s’y opposer”, or cette décision est prise à l’unanimité du Conseil des gouverneurs, permettant ainsi au plus petit Etat de refuser une augmentation du capital (9).
Page 153, l’auteur dispose que, grâce au Pacte budgétaire (TSCG), Bruxelles pourra se saisir des comptes de la France et pourra l’envoyer devant la CJUE si elle ne respecte pas le déficit à 0,5% (auparavant fixé à 3% du PIB). Or, cette saisine de la CJUE n’est en réalité possible que si un Etat ayant ratifié le TSCG refuse ensuite de promulguer la règle d’or budgétaire . Il ne s’agit en aucun cas de permettre à la Cour de sanctionner un Etat ne respectant pas les critères de déficit. Par ailleurs, le Traité ne porte pas la limite du déficit autorisé de 3% à 0,5% puisque cette dernière ne concerne que le déficit structurel (le déficit conjoncturel restant limité à 3% du PIB) (10).
Enfin, en page 161, l’auteur critique la vente des autoroutes françaises par le gouvernement. Il convient de rappeler que le domaine public routier ne peut être vendu et qu’il s’agit en réalité de la vente des sociétés assurant la gestion de ces autoroutes. Désormais privées, ces sociétés se rémunèrent en assurant la gestion du service public et reversent une redevance à l’Etat. Ce dernier pourrait décider de mettre à fin à cette gestion privée et d’assurer lui même la gestion.
V. Conclusion: les éléments oubliés
Il est fortement dommageable s’attarder sur la loi de 1973 sans réellement parler des changements “puissants” qu’elle apporte. Alors que l’auteur passe beaucoup de temps et use de beaucoup de pédagogie pour expliquer les articles 19 et 25, ainsi que la convention, éléments législatifs qui n’amènent plus ou moins rien de nouveau à l’époque, il n’explique justement pas ce qui est réellement neuf dans cette organisation.
Tout d’abord il y a des grands changements au niveau de l’organigramme, qui auraient du être soulignés bien plus que les articles 19 et 25 (qui, répétons le, ne sont qu’une reprise de la législation antérieure). Le conseil sera formé différemment (et là dessus, il faudrait peut-être même écrire un livre entier), et le gouvernement y disposera désormais d’un représentant qui pourra user d’un droit de censure lors des délibération (article 16) alors qu’avant il disposait de deux représentants, mais qui n’avaient aucun droit sur la délibération.
Plus important encore, l’article 24 (et plus globalement, les articles 27 et 28), qui libéralise la gestion des actifs éligibles, semble révolutionnaire. Depuis la création de la Banque de France, c’est l’Etat qui décidait des actifs (titres, obligations) que la Banque pouvait accepter en échange de liquidités. La loi de 1973 amène une réforme majeure, puisque désormais, la Banque (via son conseil) pourra décider elle-même de la liste des actifs qu’elle peut accepter ou pas. Ce système est encore en cours aujourd’hui avec la Banque Centrale Européenne, qui fixe elle-même les actifs qu’elle accepte en échange de liquidités.
L’article 24, qui amène pourtant des changements assez profonds, ne sera pas cité une seule fois dans le livre, à l’instar des articles 27 et 28. C’est pourtant, à notre sens, et, a priori, au sens de Valéry Giscard d’Estaing (dans sa désormais très fameuse réponse à André-Jacques Holbecq sur son blog (11)) le véritable point important de la réforme des statuts de 1973.
C’est d’ailleurs sur ces articles que va finalement porter la plus grande partie de la controverse qui a eu lieu sur le blog d’Etienne Chouard ces derniers mois. Certains participants au débat estimaient que si c’est la Banque de France qui décide des actifs éligibles en échange de liquidités, elle pourrait tout à fait ne plus accepter certains titres comme par exemple des obligations de la SNCF, EDF et autres. Ce qui pourrait finalement constituer le vrai changement de la loi de 1973.
Selon nous cette thèse ne tient pas, car les décrets passés avant la loi de 1973 et qui précisaient les actifs éligibles (dont notamment les titres de sociétés Françaises comme la SNCF et EDF justement) n’obligeaient pas la Banque à les accepter, nuance de taille : ils lui permettaient de les accepter. Ainsi, que l’Etat donne son accord ou pas, la Banque pouvait parfaitement refuser un actif en refinancement. La situation est donc la même pour ces sociétés.
Sur ce point, les débats continuent, mais le livre n’en fait malheureusement pas mention.
Lior Chamla et Magali Pernin
Notes:
(1) La « loi Pompidou, Giscard, Rothschild » votée en 1973 empêcherait l’Etat de battre monnaie, Le Monde, 29 décembre 2011: http://www.lemonde.fr/idees/article/2011/12/29/la-loi-pompidou-giscard-rothschild-votee-en-1973-empecherait-l-etat-de-battre-monnaie_1623299_3232.html
(2) Idée reçue sur la loi du 3 janvier 1973, La Théorie du tout, 10 mars 2012: http://www.theorie-du-tout.fr/2012/03/loi-1973-rothschild.html
(3) Débat sur le blog d’Etienne Chouard à propos des révélations de Rocard et de la nature de la loi de 1973 : http://etienne.chouard.free.fr/Europe/forum/index.php?2012/12/28/293-loi-de-1973-les-aveux-de-rocard-et-deux-nouvelles-pistes-pour-comprendre-l-effet-veritable-de-la-loi
(4) Il faut noter que les conventions sont passées entre le ministre des finances et le le gouverneur de la Banque de France. Il n’est pas forcément évident qu’elles aient été, selon les règles propres à chaque Constitution, approuvées par les parlementaires.
(5) Un argument, plus accessoire, a également attiré notre attention. La loi de 1973 aurait été passée par une majorité libérale inquiète de la progression des socialistes et des communistes: « Si les rouges prenaient le pouvoir alors il ne pourraient pas faire de la planche à billets ». On se demande bien, si la loi de 1973 était justement accusée des faits qu’on lui reproche, en quoi une nouvelle majorité n’aurait pas pu voter une nouvelle loi abrogant celle de 1973.
(6) L’un des objectifs de la loi de 1973 est aussi de consacrer cette technique d’Open Market (notamment via les articles 24, 27 et 28), qui avait de loin supplanté la technique de l’escompte depuis un certain temps, tout en n’étant pas réellement définie législativement, si ce n’est par allusions dans la loi de 1936.
(7) Voir Benjamin Lemoine, Les valeurs de la dette, 2011. Section II – Inflation intolérable et finances administrée indésirable (page 82 à 114): http://pastel.archives-ouvertes.fr/docs/00/71/22/84/PDF/THEI_SE_BENJAMIN_LEMOINE_LES_VALEURS_DE_LA_DETTE.pdf
(8) Si l’un des Etats se mettait, sans concertation aucune, à utiliser sa Banque nationale pour créer de la monnaie afin de financer des déficits, et si cela se faisait sur des sommes non négligeables, cela aurait un effet dans toute la zone monétaire, pénalisant potentiellement l’ensemble des autres Etats, qui n’auraient pourtant même pas été consultés. Pour empêcher cela, une mesure technique simple doit être prise : empêcher les Etats d’emprunter auprès de la Banque centrale nationale.
(9) Le mécanisme européen de stabilité, La Théorie du tout, 19 février 2012: http://www.theorie-du-tout.fr/2012/02/mecanisme-europeen-de-stabilite-mes.html
(10) Le Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance de l’union économique et monétaire (TSCG) ou “Pacte budgétaire”, ContreLaCour, 9 mars 2012: http://contrelacour.over-blog.fr/article-2-mars-2012-signature-de-la-version-definitive-du-traite-sur-la-stabilite-la-coordination-et-la-go-101251327.html
(11) Réponse de Valery Giscard d’Estaing à André-Jacques Holbecq : http://vge-europe.eu/index.php?post/2008/07/25/Reponse-de-VGE
Documents annexes :
– Loi réformant les statuts de la Banque de France, janvier 1973 (Loi n° 73-7 du 3 janvier 1973) : http://www.legifrance.gouv.fr/jopdf/common/jo_pdf.jsp?numJO=0&dateJO=19730104&pageDebut=00165&pageFin=&pageCourante=00165
– Convention de décembre 1973 (Loi n° 73-1121 du 21 décembre 1973) : http://legifrance.gouv.fr/jopdf/common/jo_pdf.jsp?numJO=0&dateJO=19731222&numTexte&pageDebut=13660&pageFin
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