Cette semaine s’est clôturée la longue aventure du Two-Pack sur les bancs du parlement européen. Après plusieurs mois de négociations, les eurodéputés ont approuvé à une très large majorité les deux nouveaux règlements renforçant la discipline budgétaire européenne. Ils ont avalisés les textes arrêtés le 20 février lors du compromis entre les trois institutions européennes.(1)
Sitôt les textes approuvés par les députés, un communiqué de presse du Parlement européen indiquait « La prochaine série de lois sur la gouvernance économique de l’UE amènera davantage de croissance, et les nouveaux pouvoirs de la Commission de surveillance des budgets des pays de la zone euro seront mieux contrôlés d’un point de vue démocratique, grâce à la législation sur le « paquet de deux » ».
Démocratie et croissance ? Deux mots qui ne m’étaient pourtant jamais venus à l’esprit durant les derniers mois d’études de ces textes…
L’accord du Conseil européen ne devrait être qu’une formalité.
Lors du tout récent »Sommet » des 14 et 15 mars les chefs d’Etat ont appelé à ce que « tous les travaux préparatoires nécessaires [soient] accomplis afin que ces nouvelles dispositions soient effectivement appliquées dès le début des cycles budgétaires nationaux en 2013. »
L’approbation formelle des deux règlements devrait intervenir lors du prochain Conseil prévu le 22 mai.
Les deux textes entreront en vigueur 20 jours après leur publication au Journal officiel de l’Union européenne.
Entrons dans le vif du sujet.
Comme d’habitude, un petit historique, afin de comprendre ce qu’il s’est passé entre la publication des projets de textes par la Commission (novembre 2011) et le compromis arrêté entre les trois institutions européenne (février 2013).
Pour cela, cliquez ici, et vous comprendrez (peut-être…) mieux ce qui suit !
Les fidèles lecteurs, eux, en sont dispensés (sauf s’ils ont une mémoire de poisson rouge).
Les deux règlements visent à introduire un contrôle beaucoup plus strict des pays de la zone euro en difficulté, notamment ceux souhaitant bénéficier d’une assistance financière, et à encadrer encore davantage le processus d’élaboration des budgets nationaux.
Contrairement au Pacte budgétaire, ces deux règlements sont adoptés par les seules institutions européennes et sont directement applicables en droit interne, sans qu’aucun Parlement national ne soit intervenu dans leur élaboration.
Ainsi, si certains sont dès à présent tentés de poser la question « Comment on s’échappe de cet enfer ? », on pourra leur proposer différentes solutions, plus ou moins raisonnables:
– monter un putsch afin de placer Jean-Luc Mélenchon à la tête de la Commission européenne,
– droguer nos voisins européens afin de provoquer une vague communiste dans la majorité des Etats européens,
– se décider à quitter gentiment le monde fabuleux du marché unique européen.
Trêve de plaisanteries, on se concentre!
- Le règlement établissant des dispositions communes pour le suivi et l’évaluation des projets de plans budgétaires et pour la correction des déficits excessifs dans les États membres de la zone euro
C’est sur la base de ce texte qu’un bras de fer s’était établi entre les chefs d’Etat et le Parlement européen. En échange de leur vote positif, les eurodéputés socialistes et écologistes pressaient la Commission de s’engager sur la mutualisation de la dette.
Ainsi, lors du premier vote parlementaire intervenu en juin 2012, les eurodéputés avaient largement amendé le texte afin d’y introduire un chapitre consacré à la gestion de la dette et demandant notamment la création d’un fonds européen d’amortissement (FEA) – appelé communément « fonds de rédemption ».
Huit mois plus tard, la création d’un groupe d’experts chargés d’étudier la question des eurobonds a suffit à convaincre lesdits parlementaires de voter en faveur du texte.
A noter que les députés ont également réussi à introduire quelques rappel des objectifs de croissance de l’Union européenne parmi les informations devant être transmises par les Etats dans les nouveaux documents créés par le règlement.
Ce règlement vise à :
– compléter le volet préventif du Pacte de stabilité et de croissance (PSC) par des exigences de surveillance supplémentaires afin de garantir que les recommandations de la Commission sont bien prises en compte dans la préparation des budgets nationaux.
– compléter le volet correctif du PSC par une surveillance plus étroite de l’exécution des budgets nationaux.
A ce titre, les États devront :
1°) remettre, avec les programmes de réforme, un plan budgétaire à moyen terme (avant le 30 avril). Ce plan entend visiblement remplacer l’actuel programme de stabilité remis chaque printemps.
2°) mettre en place un conseil budgétaire « indépendant » chargé de surveiller la mise en œuvre de l’ « objectif budgétaire à moyen terme » (OMT).
Ce dernier, défini dans le cadre du Six-Pack, vise à ce que les Etats atteignent un déficit structurel inférieur à 1% du PIB. La France s’est cependant engagée à atteindre l’équilibre strict.
Pour ce faire, le Conseil devra produire des évaluations publiques relatives à l’activation du « mécanisme de correction » (2) et sur la pertinence des situations entrainant un écart temporaire de l’OMT.
Ce paragraphe nécessite un approfondissement car la nouvelle rédaction retenue par Bruxelles permet de maintenir, de façon astucieuse, la règle d’or budgétaire initialement inscrite.
Voici la rédaction initiale de l’article 4 du règlement: « Les États membres adoptent des règles budgétaires chiffrées concernant le solde budgétaire, qui inscrivent dans le processus budgétaire national l’objectif budgétaire à moyen terme […]. Ces règles s’appliquent aux administrations publiques dans leur ensemble et revêtent un caractère contraignant, de préférence constitutionnel. »
Peu conforme au principe de subsidiarité, qui implique de laisser les Etats libres des moyens à mettre en oeuvre pour atteindre les objectifs fixés par l’UE, cet article avait conduit le Sénat français à émettre de sérieuses réserves.
La rédaction a été modifiée telle que: « Les Etats membres mettent en place des organismes indépendants chargés de surveiller le respect des règles budgétaires chiffrées qui incorporent dans le processus budgétaire national l’objectif budgétaire à moyen terme […]. »
De fait, l’obligation d’adopter de telles règles a été supprimée, sans toutefois oter l’existence et l’utilité de ces règles (bien heureusement ratifiées, entre-temps, via le Pacte budgétaire).
Pour finir, le Conseil budgétaire indépendant aura également la charge de produire ou d’approuver les projets de budgets nationaux.
3°) communiquer à la Commission leur projet de loi de finances (« plan budgétaire ») avant le 15 octobre. (3)
Alors que le projet initial n’en prévoyait pas l’obligation, le texte définitif indique que la Commission devra nécessairement adopter un avis avant la fin novembre. Celui-ci pourra être présenté au Parlement national ou le Parlement européen, si ces derniers en font la demande.
Surtout, si la Commission estime que ce plan présente un « manquement particulièrement grave », elle pourra (après avoir consulté l’Etat concerné) en demander la révision dans un délai de trois semaines maximum.
Tous ces avis sont rendus publics et devront être présentés devant l’Eurogroupe. L’amendement parlementaire appelant à une présentation de ces avis devant la Commission ECON du Parlement européen n’a pas été retenu.
A noter que la publication de ces avis est rendue complètement indépendante de l’accord du Conseil européen, non mentionné dans l’article. Seul l’Eurogroupe peut, s’il le souhaite, émettre un rapport public sur les avis de la Commission.
Sur la base de l’ensemble des budgets examinés, la Commission procédera également à une évaluation globale de la zone euro.
4°) présenter à la Commission et au Conseil, lorsqu’il existe un déficit excessif, un programme de partenariat économique.
Cette disposition ne figurait pas dans la version initiale du règlement.
Ce programme devra « définir et sélectionner plusieurs priorités spécifiques afin de renforcer la compétitivité à long terme, la croissance durable et de remédier aux faiblesses structurelles ». A ce titre, des ressources financières européennes pourront être déterminées (par exemple: ligne de crédit auprès de la BEI).
Les Etats en déficit excessif devront également présenter une « évaluation exhaustive de l’exécution budgétaire infra-annuelle » qui vient compléter le rapport existant actuellement (créé via le Six-Pack).
Pour finir, lors de la présentation du compromis du 20 février 2013, j’avais évoqué certaines avancées en matière de contrôle « démocratique » des nouveaux pouvoirs confiés à la Commission. En effet, un communiqué de presse du Parlement européen indiquait que les pouvoirs de la Commission découleraient d’une sorte de « mandat », renouvelé tous les trois ans, que le Parlement ou le Conseil aurait la possibilité de révoquer.
A la lecture de la version finale du règlement, il apparait que cette « délégation » ne concerne que le pouvoir donné aux commissaires de définir le contenu du rapport infra-annuel (sus-mentionné). Il ne semble pas que le mandat concerne les avis émis par la Commission sur les projets de budgets transmis par les Etats.
- Le règlement relatif au renforcement de la surveillance économique et budgétaire des États membres connaissant ou risquant de connaitre de sérieuses difficultés du point de vue de leur stabilité financière au sein de la zone euro
Ce règlement est applicable exclusivement à la zone euro.
Il vise à renforcer la surveillance économique et budgétaire des États :
– connaissant ou risquant de connaitre de sérieuses difficultés du point de vue de leur stabilité financière, indépendamment de l’existence ou non d’un déficit budgétaire excessif.
– bénéficiant ou pouvant bénéficier de l’assistance financière d’un ou plusieurs autres États, du FESF, MESF, MES ou d’autres institutions financières internationales (FMI par exemple).
Il ne s’appliquera cependant pas au cas de prêts pour recapitalisation d’institutions financières.
La décision de placer sous surveillance renforcée sera prise par le Conseil (majorité qualifiée) sur proposition de la Commission.
Un État placé sur surveillance renforcée devra adopter, en concertation avec la Commission et la BCE, des mesures visant à remédier aux causes de ses difficultés, et remettre un rapport trimestriel.
La Commission aura à ce titre un accès inédit aux comptes et informations du secteur bancaire.
Le Conseil pourra également recommander à l’État de rechercher une assistance financière.
Un État souhaitant bénéficier d’une assistance financière devra en informer immédiatement le Conseil, la BCE et la Commission. Cette dernière effectuera alors une analyse de la soutenabilité de la dette.
Un État bénéficiant d’une assistance financière devra, en partenariat avec la Commission et le Conseil, préparer un projet de programme d’ajustement visant à rétablir une situation financière saine et sa capacité à se refinancer intégralement sur les marchés financiers. Un article introduit par les parlementaires oblige l’Etat concerné à consulter « les partenaires sociaux et les organisation pertinentes de la société civile afin de parvenir à un consensus sur son contenu ».
Ce programme devra être approuvé par le Conseil européen.
Ce programme d’ajustement prendra, le cas échéant, le relai des procédures pour déficit excessif ou déséquilibres macroéconomiques en vigueur.
Comment les eurodéputés ont-ils voté?
Sans surprise, les deux projets de règlements amendés ont été approuvés par une large majorité de parlementaires, les principaux groupes politiques parlementaires appelant à voter pour les deux règlements:
– Alliance des démocrates et des libéraux pour l’Europe
– Parti Populaire européen
– Socialistes et Démocrates
– Verts
Seuls les groupes « Europe libertés démocratie » et « Gauche Unitaire européenne » appelaient à voter contre.
Les conservateurs et réformistes européens avaient pour consigne de s’abstenir sur le règlement relatif au contrôle des États en difficulté et de voter contre le règlement relatif au suivi budgétaire.
A noter que parmi les groupes appelant à voter pour, quelques députés de nationalités italienne, belge, finlandaise ou suédoise se sont toutefois opposés aux textes.
Comment ont voté les eurodéputés français?
Sur les 74 députés « français »:
– Les membres du Parti populaire européen (PPE, 30 députés), issus de l’UMP, du Nouveau centre, de la gauche moderne et du Parti radical, ont tous voté « pour », suivant ainsi la ligne du parti (deux n’ont pas pris part au vote).
– Les membres de l’Alliance des démocrates et des libéraux pour l’Europe (ADLE, 6 député), pour la plupart issus du MODEM, ont voté « pour », suivant ainsi la ligne du parti, hormis Jean-Luc Bennahmias qui a voté blanc (il avait voté contre en juin).
– Les membres de l’Alliance libre européenne-Les Verts (15 députés, dont Éva Joly, Daniel Cohn Bendit, et José Bové), ont voté « pour », suivant ainsi la ligne du parti (plusieurs députés n’ont pas pris part au vote).
José Bové a ainsi approuvé les deux textes, alors qu’en juin dernier il avait voté blanc sur le règlement relatif au suivi et à l’évaluation des projets de plans budgétaires.
– Les membres de l’Alliance Progressiste des Socialistes & Démocrates (S&D, 14 députés), issus du Parti socialiste, ont voté pour, suivant la ligne du parti.
Françoise Castex a cependant voté blanc sur le règlement relatif au renforcement de la surveillance économique et budgétaire des États en difficulté.
– Les membres de la Gauche unitaire européenne – Gauche verte européenne (5 députés, dont Jean-Luc Mélenchon), ont tous voté « contre »;
– Membre de l’Europe Liberté Démocratie (EFD, parti présidé par le célèbre N. Farage), Philippe de Villiers a voté contre;
– Parmi les non-inscrits, Bruno Gollnisch, Marine Le Pen et Jean-Marie Le Pen ont tous voté contre.
Notes:
(1) Selon le blog de Jean-Luc Mélenchon, la Commission des affaires économiques et monétaires du parlement européen n’a cependant eu accès aux documents que le 25 février, en anglais évidemment. La version française n’a été transmise que le 5 mars.
Les citoyens, eux, ont du attendre le lendemain des votes pour disposer enfin de la dernière version des textes. Il ne s’agit cependant à ce jour que d’une version provisoire.
(2) Sauf erreur de ma part, le règlement fait ici directement référence au mécanisme de correction automatique défini dans le Pacte budgétaire. En effet, et de façon surprenante, ce mécanisme n’est pas précisément défini dans le règlement.
(3) Le règlement initie un encadrement des calendriers budgétaires nationaux en obligeant l’ensemble des Etats à rendre public leur projet de budget avant le 15 octobre et à approuver ce dernier au plus tard le 31 décembre.
Sources utiles:
– Les votes des eurodéputés: ici et ici
– Les deux »fiches procédures » dans lesquelles vous trouverez l’ensemble des documents relatifs aux règlements: fiche 2011/0385(COD) et fiche 2011/0386(COD)
– La conférence de presse des deux eurodéputés rapporteurs des textes
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