Après deux années entièrement consacrées à la résolution de la crise, et un sérieux accroissement de la discipline européenne sur les économies nationales, l’heure semble être venue à la réflexion.
Non pas que les dirigeants européens aient renoncé à de nouvelles réformes institutionnelles, mais le temps de l’urgence parait être passé.
Rien de bien nouveau rassurez-vous. Depuis toujours l’Europe se construit sur les crises, dans l’urgence, et s’interroge ensuite sur l’incroyable déficit démocratique de la construction. Un architecte qui s’inquiète de la solidité des fondations mais ne cesse pas pour autant la construction de nouveaux étages.
En matière de gouvernance économique, résumons brièvement la situation :
Alors que depuis 1997 (date d’entrée en vigueur du pacte de stabilité et de croissance), la discipline européenne se résumait à une légère prévention des déficits publics ne donnant jamais lieu à des sanctions, les choses se sont sérieusement musclées en 2011.
Six nouveaux textes (Six-Pack) sont venus mettre en place une coordination budgétaire digne de ce nom (appelée « Semestre européen »): renforcement des sanctions, approfondissement des pouvoirs de la Commission européenne et extension des contrôles à l’ensemble des déséquilibres macroéconomiques.
Pour parachever l’édifice, les Etats étaient appelés l’année dernière à introduire certaines de ces règles budgétaires dans leur droit national en ratifiant le fameux Pacte budgétaire (TSCG). Un traité qui n’inaugure aucune règle comptable qui ne soit déjà inscrite dans le droit européen mais qui aura eu l’intérêt de réveiller quelque peu le débat national. C’est comme si les Parlementaires français prenaient soudainement conscience que leur Etat, partageant une monnaie commune, devait se plier à quelques règles de bienséance budgétaire.
Quelques uns, beaucoup moins nombreux, ont saisi l’occasion pour poser la question de la place des Parlements nationaux dans la nouvelle architecture européenne.
A ce jour, la réponse la plus séduisante semble être celle d’une coopération renforcée entre les Parlements nationaux des différents Etats membres et le Parlement européen.
L’article 13 du Pacte budgétaire réitère en effet la possibilité de mettre en place des conférences interparlementaires – possibilité déjà prévue dans les Traités européens mais jamais approfondie. Un mécanisme qui donne aux eurodéputés un rôle central et qui explique sans doute leur empressement.
Ce contexte étant ainsi brièvement posé, vous êtes en mesure de comprendre les enjeux des réunions parlementaires ouvertes en 2013 dont je vais m’employer à vous livrer un suivi et une synthèse tout au long de l’année.
La semaine parlementaire européenne des 29 et 30 janvier
… ou l’occasion pour nous d’entendre les parlementaires nationaux parler enfin d’Europe.
« Les députés européens ont rencontré leurs homologues nationaux en vue de débattre des travaux de coordination économique en cours au niveau européen et de la manière dont les parlements peuvent, au mieux, amener les divers décideurs à rendre compte de leurs actes. »
(Source : communiqué de presse de la Commission Affaires économiques et monétaires du Parlement européen).
Différents points, développés ci-dessous, peuvent être dégagés des interventions des parlementaires nationaux, ainsi que des eurodéputés, commissaires et autres
experts présents.
Ils sont le résumé d’environ 10 heures de débats: les deux conférences organisées le 29 janvier par la Commission des Affaires économiques et monétaires du Parlement européen, et la conférence commune du 30 janvier.
1/ Les Parlements nationaux ne sont pas suffisamment impliqués dans la définition des orientations économiques de l’Europe.
D’après Sharon Bowles, présidente de la Commission des Affaires économiques et monétaires du Parlement européen, le semestre européen a explosé la responsabilité de la prise de décision des objectifs économiques.
Désormais, les Parlements nationaux sont mis, selon l’expression du Président du Parlement maltais, « devant le fait accompli ».
Le constat est partagé par un député polonais: « Le calendrier du semestre européen donne l’initiative à la Commission », « il faut introduire une phasepréparatoire ».
Une mauvaise implication qui entraine une méconnaissance absolue des réformes en cours au niveau européen. Dominic Hannigan, représentant du Parlement irlandais, avouait : « trop peu de parlementaires étaient conscients que ce qui était écris dans le TSCG était déjà ratifié dans le droit européen ».
« Si les affaires européennes ne sont pas débattues au sein des Parlements nationaux, on ne peut pas être surpris que l’opinion publique ne s’y intéresse pas. Il ne faut présupposer que tout le monde comprend de quoi l’on parle en dehors de cette enceinte »
Sean Barrett, Président de la Chambre des Représentants d’Irlande
Ce constat du manque d’implication a été remarqué jusque dans l’organisation même de la conférence puisque l’ordre du jour a été établi par le Parlement européen sans consultation des parlementaires nationaux, simples invités. Ce manquement, alors même que la conférence avait pour objet l’intégration des représentants nationaux, a entrainé l’absence des députés allemands le 29 au matin.
Philippe Marini, sénateur français, a demandé que les prochaines réunions fassent l’objet de groupes préparatoires formés de représentants des parlementaires nationaux afin de proposer des thèmes de travail.
En matière de gouvernance économique, Danielle Auroi, qui représentait aux cotés de Christophe Caresche, l’Assemblée nationale française, a fait la promotion de la récente résolution adoptée par les députés français (à l’unanimité) demandant la création de la conférence interparlementaire prévue par l’article 13 du Pacte budgétaire. Une telle coopération permettra, selon la députée, aux Parlements nationaux d’être « en quelque sorte en codécision avec la Commission et le Conseil européen ».
La réforme économique européenne ne peut réussir sans compréhension du contexte par les citoyens et leurs représentants. En ce sens, les propositions formulées en décembre par le Président du Conseil européen sont décevantes selon Monsieur Hannigan car elles n’envisagent pas le développement des relations multilatérales entre les Parlements
nationaux.
Cependant, de façon générale, les interventions me laissent plutôt perplexe, comme si la participation plus active les parlementaires nationaux permettrait seulement d’assurer l’apparence de démocratie à un système qui ne donnerait pas pour autant un véritable pouvoir de contrôle aux députés.
« Cette réunion des parlementaires nationaux est-elle un alibi démocratique ou un catalogue de bonnes intentions? » Philippe Marini (qui, visiblement, est plutôt pessimiste quant à l’efficacité de la réunion).
Les parlementaires nationaux devront donc prendre garde à ce que leur participation à ce type de « tables-ronde » ne constitue pas une diversion laissant croire à un fonctionnement démocratique de l’Union européenne, tandis que les décisions se prennent ailleurs.
2/ La construction d’une zone de « sous-souveraineté »
L’expression est de Guntram Wolff, représentant du think-tank Bruegel, venu plaider devant les parlementaires nationaux pour « un nouveau paradigme de légitimité au niveau européen », c’est-à-dire une légitimité nouvelle dans un contexte de « souveraineté perdue » face aux marchés financiers et aux institutions européennes.
Christophe Caresche, député socialiste français en a fait également le constat : si les transferts de souveraineté ne sont pas complètement assumés, il n’en demeure pas moins qu’ils sont bien réels. L’encadrement de l’élaboration des budgets nationaux (Two-Pack) est, en ce sens, un changement majeur de paradigme.
Les Parlements nationaux doivent mettre en œuvre des décisions prises ailleurs, et qui ne concernent pas uniquement le domaine budgétaire (retraite, code du travail, etc).
Deux institutions décident actuellement sans rendre compte : la Commission européenne et le Conseil européen. Il faut donc, selon le député français, se préoccuper de la question démocratique et réfléchir à une réforme de nos institutions.
« Le sujet de la souveraineté est sous-estimé en France. La perte de souveraineté date du Traité de Maastricht. La France doit comprendre et faire le pas d’une perte de souveraineté supplémentaire »
Guntram Wolff, représentant du think-tank Bruegel
Sharon Bowles a dressé à son tour un portait pessimiste de la démocratie en Europe :
– beaucoup d’Etats membres voient l’Union européenne s’immiscer dans quasiment tous les dossiers
politiques
– dans les pays sous surveillance de la Troika, les autorités nationales sont quasiment encorsetées
– les accords intergouvernementaux conclus à huit clos ainsi que les recommandations de la Commission, rédigées par
des personnes non élues, rendent difficile l’identification des responsables politiques.
Une gouvernance tellement complexe qu’elle empêche, selon les dires de Stéphane Colignon, Professeur d’économie politique européenne, toutes perspectives de changements. Or, seule la perspective d’une politique alternative pourrait permettre la construction d’une opinion publique européenne et l’acceptation de compromis entre chaque Etat.
3/ Un fédéralisation de l’Europe ?
Les avis étaient, sans surprise, partagés.
Pour Christophe Caresche, le terme de fédéralisme est inapproprié étant donné le contrôle établi par les institutions européennes sur les institutions locales. Or, un véritable fédéralisme correspond à un partage strict des compétences relevant des Etats, et celles relavant de l’Europe.
Face à cette spécificité européenne, la légitimité démocratique ne peut passer que par une participation plaine et entière des Parlements nationaux.
« Combien de citoyens s’associeraient au slogan ‘’République européenne’’ ? »
Joachim Spatz, Bundestag
Selon Joachim Spatz, député allemand, les citoyens ne sont pas prêts à une fédéralisation. Aller trop vite empêchera la réussite de la construction européenne. Il faut aujourd’hui se contenter d’une gouvernance à plusieurs niveaux.
Un représentant du Sénat néerlandais semble, de son coté, bien plus pressé de voir les institutions réformées : « Nous ne sommes pas d’accord sur le type d’Europe que nous voulons. Or, il n’y a pas 27 menus, il faudra faire son choix. Les minorités doivent accepter les bonnes décisions prises pour l’Europe ».
4/ Les Etats doivent davantage s’imposer, par la voix des représentants nationaux
Il ne tient qu’aux parlementaires nationaux de prendre la place qu’il leur revient.
Ainsi, aux sarcasmes de Philippe Marini, l’eurodéputé Liem Hoang Ngoc répond: « Les Parlements nationaux doivent s’arroger les pouvoirs qu’ils ont: le vote des programmes nationaux de stabilité ».
Ainsi, par exemple, le Parlement néerlandais a nommé un rapporteur chargé de suivre la coordination économique européenne. Selon son représentant, il faut cependant aller plus loin et exiger la transparence et la disponibilité de tous les documents européens, y compris ceux du Conseil. Les Parlements nationaux doivent jouer un rôle de contrôle accru sur les décisions européennes. Enfin, le député réclame une stricte application du principe de subsidiarité au Semestre européen: c’est aux Etats que revient le dernier mot quant au choix des politiques économiques à suivre.
De même, un député finlandais a mentionné que tous les documents budgétaires transmis à la Commission européenne étaient systématiquement discutés par le Parlement finlandais.
« Aucune conférence n’est capable d’apporter la légitimité démocratique »
Un parlementaire finlandais.
Selon le représentant du parlement néerlandais, si ce type de conférences n’est pas la pancée, elles doivent néanmoins permettre aux Parlements d’échanger leurs bonnes pratiques quant aux nouveautés du semestre européen.
« Les députés nationaux sont les portes paroles authentiques des citoyens européens »
Lyndon Harrison, Royaume-Uni
5/ Les orientations économiques européennes doivent prendre en compte les spécificités nationales et œuvrer pour la croissance
Tandis que les conférences interparlementaires pourraient offrir aux députés nationaux une version plus transversale des orientations économiques requises, plusieurs parlementaires (notamment lituanien et allemand) ont également mis l’accent sur la nécessité de prendre en compte les spécificités locales.
Monsieur Harrison, parlementaire du Royaume-Uni, s’interrogeait notamment sur la possibilité de « partager les meilleures recettes économiques entre Etats quand les problèmes sont si différents ».
« Combien de temps allons-nous être des spectateurs de ces coupes budgétaires et salariales? Où est passé le Pacte pour la croissance? »
« Avons-nous proposé d’autres choix ? Austérité ou rien »
Sans doute une manière de profiter de la présence des commissaires Olli Rehn et László Andor pour réclamer des recommandations de la Commission plus spécifiques à chaque Etat et d’indiquer également leur malaise: « La stabilité ne doit pas être synonyme d’austérité » (Danielle Auroi, France), « L’impression que rien n’est fait pour lutter contre le chômage » (Lituanie), une protection sociale réduite, une compétitivité uniquement recherchée via des coupes salariales et non des investissements d’innovation (Grèce).
Une revendication affirmée également par les eurodéputés. Liem Hoang Ngoc, mettant en avant que les recommandations actuelles de la Commission sont plus strictes que les obligations découlant du droit européen (Six-Pack), s’interrogeait sur la possibilité d’assouplir celles-ci en période de crise. De même, Elisa Ferreira a demandé quelles seraient les marges de manœuvre »donnée » par la Commission européenne pour les investissements.
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