Le 20 septembre 1992, le Traité de Maastricht était, à une courte majorité, approuvé par les français par référendum.
Il y a 20 ans, les français acceptaient ainsi un transfert massif de compétence aux institutions européennes sans exiger de leurs représentants nationaux des garanties sur le respect de la souveraineté nationale dans l’exécution des Traités.
Car souveraineté partagée n’équivaut pas à souveraineté transférée
Confiance aveugle ou inconscience? Difficile de répondre.
Pourtant le discours de Philippe Séguin à la tribune de l’Assemblée nationale aurait du mettre la puce à l’oreille de nombreux français.
Je ne leur en veux pas. J’ai mis moi-même plusieurs mois avant d’en saisir toute la portée.
« Mon irrecevabilité se fonde sur le fait que le projet de loi viole, de façon flagrante, le principe en vertu duquel la souveraineté nationale est inaliénable et imprescriptible, ainsi que le principe de la séparation des pouvoirs, en dehors duquel une société doit être considérée comme dépourvue de Constitution . »
Certains vous répondront que les paroles de Séguin étaient exagérées. Qu’en aucun cas le Traité de Maastricht violait la souveraineté du peuple car:
– ce dernier l’avait directement accepté,
– ses représentants avaient voté une réforme de la Constitution rendant, par un coup de baguette magique (l’ajout d’un simple article) le Traité conforme à notre loi fondamentale,
– en fin de compte, la France continue à peser, de manière indépendante, dans la prise de décision européenne. En effet, les « lois européennes » (directives et règlements) doivent être approuvés par le Président de la République, lorsqu’il siège au Conseil européen.
C’est oublier que le Président de la République n’est pas dépositaire de la souveraineté nationale. Celle ci doit être exercée par le Peuple directement, ou par l’intermédiaire de ses représentants.
Le gouvernement peut lui aussi prendre des décisions, mais ces dernières ne doivent pas empiéter sur le domaine exclusif de la loi, défini par l’article 34 de notre Constitution.
Or, ce que le gouvernement s’empêche de faire sur la scène national, il se le permet sans complexe au sein du Conseil européen.
Combien de directives et de règlements relèvent du domaine de la loi mais sont approuvées par le gouvernement, sans l’aval du Parlement français, au sein du Conseil européen?
Le nombre de directives européennes qui font ensuite l’objet d’une transposition en droit interne via un texte législatif (voté par le Parlement français) peut vous donner une idée…
Très simplement, on peut déclarer que depuis 1993, le gouvernement français vote des lois sans avoir recueilli au préalable l’accord des parlementaires.
Ce constat est très justement mis en avant par Etienne Chouard dans la vidéo suivante (à partir de la trente-et-unième minute):
C’est à la lecture et à l’écoute de ce constat que je vous invite maintenant à lire la suite de la déclaration de Philippe Séguin:
« La question de la séparation des pouvoirs se pose dans les mêmes termes. Aucune assemblée n’a compétence pour se dessaisir de son pouvoir législatif par une loi d’habilitation générale, dépourvue de toute condition précise quant à sa durée et à sa finalité. […] On demande donc au Parlement, qui n’en a pas le droit, rien de moins que d’abandonner sa compétence législative aux organes communautaires chaque fois que ceux-ci le jugeront nécessaire pour l’application du traité. »
Ce non respect du grand principe de la séparation des pouvoirs, je l’ai moi même concrètement touché du doigt en étudiant la réforme de la gouvernance économique européenne.
En 1992, via le Traité de Maastricht, les peuples (ou leurs représentants) approuvaient un certain nombre de règles de discipline financière – dites de coordination. On parle à cet égard des fameux critères de Maastricht qui limitent le déficit à 3% du PIB et la dette à 60%.
En 1997, afin de mettre en place la monnaie unique, les États européens se dotent d’un mécanisme visant à garantir le respect de ces critères: il s’agit du Pacte de stabilité et de croissance (PSC). Ce Pacte introduit notamment l’obligation de transmission à la Commission européenne d’un programme de stabilité qui permet aux institutions de l’Union de surveiller la bonne tenue des comptes publics des États.
En vérité, ce Pacte de stabilité et de croissance est constitué de deux règlements européens rédigés par la Commission et validés par le Conseil (Jacques Chirac et Lionel Jospin à l’époque). Son adoption a donc complètement échappé au Parlement français.
Quatorze ans plus tard, le PSC est réformé par l’adoption de six nouveaux règlements (Six-Pack). Le Parlement français n’est toujours pas consulté alors même que cette réforme introduit de nouvelles règles budgétaires: limitation du déficit structurel, obligation de réduire la dette excessive.
En ce moment même, deux nouveaux règlements européens (Two-pack) sont en cours d’élaboration. Les parlementaires français, hormis quelques initiés, ne se doutent même pas de l’existence de ces textes. Ces derniers prévoient pourtant l’obligation de transmission des projets de lois de finances à la Commission européenne pour avis.
Doit-on condamner les institutions européennes?
L’exercice serait simple et tentant. Pourtant, un simple regard outre-Rhin peut nous prouver que l’existence des institutions européennes peut très bien s’accommoder d’un pouvoir parlementaire national valorisé.
Aussi, une plus grande intégration des parlementaires français garantirait la légitimité démocratique dont la construction européenne manque cruellement.
L’article 23 (3) de la loi fondamentale (Constitution) allemande indique qu’ « avant de concourir aux actes normatifs de l’Union européenne, le Gouvernement fédéral donne au Bundestag l’occasion de prendre position. Dans les négociations, le Gouvernement fédéral prend en considération les prises de position du Bundestag. »
A ce titre, la Commission des affaires européennes du Bundestag reçoit l’ensemble des documents communautaires et peut déposer des amendements.
Elle collabore même directement avec le Parlement européen via la nomination de certains eurodéputés, habilités à participer aux débats de la Commission.
De même, la Constitution finlandaise prévoit, en ses articles 93 et 96 la « Participation du Parlement à la préparation au niveau national des dossiers de l’Union européenne ».
En Italie également, la commission des politiques de l’Union européenne de la Chambre des députés donne son avis sur les projets d’actes de l’Union européenne.
(Voir « L’expérience des parlements nationaux au sein de l’Union européenne : quels enseignements pour le Sénat ? »)
Vingt ans après la ratification du Traité de Maastricht, comment expliquer que de telles dispositions n’aient pas été encore introduites dans la Constitution française?
Comment comprendre que le Conseil constitutionnel français n’ait pas saisi l’opportunité d’un recours contre une loi de transposition d’une directive européenne pour rappeler que le Parlement est le seul habilité à décider lorsqu’il s’agit du domaine législatif?
Au contraire, les Sages ont préféré appuyer l’obligation constitutionnelle de transposer une directive votée par les institutions européennes.
Autrement dit: le Parlement n’est pas consulté au préalable; et il est ensuite obligé de voter une loi de transposition conforme à ce que le Conseil européen a décidé.
[box]Merci d’avance à tous ceux qui publient/relaient mes articles. Merci cependant de sélectionner un extrait et de mettre le lien vers l’article original! Magali[/box]
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